Chapitre 33

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               Plus personne ne rit. Ou même ne parle. Pétrifiée comme un lapin pris dans les phares d'une voiture, je fixe Charlotte sans la voir. A vrai dire, je ne vois plus rien, n'entends plus rien. Seulement le battement anarchique de mon cœur. Boum-boum, boum-boum. Un élancement atroce me déchire la poitrine. Je dois absolument réagir, trouver un truc à dire. Mais aucune pirouette ne me vient. Le sang a quitté mes veines. Tétanisée, je ressens avec une acuité douloureuse les regards choqués pour certains, carrément haineux pour d'autres. Ma réaction parle d'elle-même, il est déjà trop tard. Je secoue la tête, tente de me reprendre. Mon bourreau se méprend sur mon geste. Un sourire supérieur déforme son visage.

- Pas besoin de nier, ma petite Will, on a malencontreusement découvert la nature du travail de Mathias, celui qui consiste à trouver des preuves contre Adrian pour t'innocenter... Comme c'est pratique d'avoir un papa très haut placé, n'est-ce pas ?

Une huée approbatrice répond à ses accusations. Mes quelques neurones encore en action calculent déjà le « on ». A la réaction d'Elinore, à présent figée elle aussi à quelques mètres de moi, le visage blême, les larmes aux yeux, il ne m'est pas difficile de reconstituer la suite des événements. J'aurais presque pitié d'elle. Mais j'ai d'abord mon propre cas à gérer.

- Alors ? qu'as-tu à nous dire ? reprend la brunette au carré court, avec la joie malsaine de celle qui tient sa proie. Tu l'as tué d'un coup de couteau ? D'une balle dans la tête ? Ou à mains nues, peut-être ? J'ai entendu dire que tu faisais des prouesses sur le ring...

Horrifiée par son plaisir macabre, la panique laisse place à la rage, une rage salvatrice qui me fournit l'électrochoc dont j'ai besoin.

- C'était de la légitime défense ! me récrié-je sans réfléchir. Je... Il m'est tombé dessus, l'autre soir, je n'avais même pas compris ce qu'il se passait qu'il était sur moi ! C'est lui ! C'est lui l'espion qui balançait nos secrets à Octavius ! C'est lui qui a contribué aux meurtres de Reka, Guillermo et tous les autres !

Un élan de stupeur parcourt l'assemblée, tandis que je reprends mon souffle. Devant moi, Charlotte semble ébranlée également mais elle recouvre rapidement ses états d'esprit.

- Et tu crois qu'on va te croire ? me provoque-t-elle avec dédain. Toi, la nouvelle venue qu'on ne connait que depuis quelques mois face à Adrian qui a grandi avec nous ? Toi qui es arrivée ici pile au moment où ces fameux meurtres dont tu parles ont commencé à avoir lieu ? Toi qui nous mens depuis une semaine ? qui agis comme si tu étais concernée par le chagrin de ta meilleure amie alors que tu connaissais la vérité ? Et tu veux qu'on te croit ?

L'horreur manque me faire défaillir. Jaz ! Prise de tournis, je me retourne d'un bond. Elle se tient parfaitement droite derrière le canapé, les yeux braqués sur moi, sous le choc. Les larmes dévalent ses joues à flots mais elle ne fait rien pour les chasser, comme paralysée.

- Jaz ! tenté-je en m'approchant.

Ma voix semble la ramener à elle. Elle m'observe étrangement, comme si elle me découvrait pour la première fois. Bien que je ne sache pas quoi faire, je continue d'avancer vers elle, désireuse de tenter quelque chose, quoi que ce soit. Mais plus j'avance, plus son regard se braque sur moi. Ses iris se voilent d'un nouveau sentiment, que j'identifie sans peine : la haine. La haine déforme ses traits, me tétanise. Ma vision se brouille. Ça n'aurait jamais dû se passer comme ça !

Les mains dans les poches, Jaz finit par se détourner. Elle quitte la pièce, Ania, Liam et Valentin sur les talons. Seul Liam m'adresse un dernier regard mais celui-ci fait d'autant plus mal ; empli de déception, de chagrin et de trahison, il me transperce le cœur. Je trouve malgré tout la force de rester debout. De faire un pas. Puis un autre. Puis avant même de m'en rendre compte, je suis dehors. Tandis que me parviennent les huées dans mon dos, mes pieds m'entrainent sous un ciel sans étoile, balayé par de puissantes rafales. Les arbres s'agitent sous la nuit d'encre. Ça ne m'empêche pas de courir. Je gravis la côte en trébuchant, encore et encore mais la douleur dans mes pommes, dans mes genoux ne me ralentit pas. Le vent hurle à mes oreilles, fait écho à ce que je ressens. Une tempête.

L'Ecole des Neuf Muses (T2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant