Dehors, le soleil ne daigne toujours pas montrer le bout de son nez. Bien qu'il soit déjà huit heures passées, une grisaille sombre et opaque filtre ses rayons et recouvre l'île de son épaisse couche nuageuse. Les réverbères, épars, dessinent faiblement les allées jusqu'aux différents bâtiments, tels des feux follets au scintillement ouaté. L'air, lourd d'humidité, transperce mon manteau et me gèle la peau des doigts, que je m'empresse d'enfuir dans mes poches.
- Et dire que ça va être ça toute la semaine... râle Adam. S'il y a bien une saison que j'aime pas ici, c'est le printemps. On n'a pas vraiment de neige, mais pas de soleil non plus. Juste ce temps pourri, ni agréable, ni spectaculaire, juste chiant.
Il remonte sa fermeture éclair jusqu'au col, la tête rentrée dans les épaules pour conserver un maximum de chaleur. Les mains enfoncées dans son blouson, il s'avance d'un pas confiant sur le chemin de réfectoire. Etrangement, mon cœur s'allège un peu, heureux de sa simple présence apaisante à mes côtés. J'ignore à quoi m'attendre pour les jours à venir, seulement qu'ils s'annoncent pénibles et douloureux, éprouvants. Mon sang se mue en plomb à cette perspective. Cela fait des jours que je redoute ce moment, que la conséquence de mes actes me ronge, me consume, me donne le sentiment de rompre, de ployer... de me noyer. Mon angoisse devrait se révéler encore plus terrible, mon aversion pour moi-même pire maintenant que tout le monde est au courant, et pourtant. Pourtant, je me sens soulagée. Je n'ai plus à jouer la comédie, à feindre que tout va bien. J'ai causé la mort d'un homme et tout le monde le sait. Fini de mentir. Et Adam est toujours là, présence constante, solide, sereine... salutaire. La bouffée d'air frais qu'il me fallait pour recouvrer mon souffle avant de replonger dans le maelstrom des événements.
- Tu viens ? se retourne-t-il devant mon absence de mouvement. J'ai ouï dire qu'il y aurait des muffins au petit déj !
Sous son bonnet, quelques mèches frisottent devant ses iris dans lesquelles se reflète le brouillard et le bout de son nez se pare déjà d'une adorable teinte rosée. Son sourire en coin dessine une délicate fossette sur sa joue. Son sourcil se hausse lorsqu'il surprend mon regard sur lui. Troublée, je me détourne aussitôt, les joues rouges, avant de le rejoindre sur le sentier.
Cependant, très vite, le peu de légèreté que j'avais retrouvée s'étiole à mesure que l'on avance vers la fausse aux lions, jusqu'à totalement s'estomper. Une tension similaire semble prendre possession d'Adam, comme s'il se préparer à un affrontement, bien qu'il s'efforce de conserver son sourire confiant. Lorsque la silhouette enluminée du Kiosque se devine à travers la grisaille, mon estomac se noue d'appréhension. Sauter le petit-déjeuner s'avèrerait peut-être tout aussi bien, non ? Ce n'est pas comme si je me sentais capable d'avaler quoi que ce soit... Percevant mon hésitation, mon coéquipier s'interrompt pour m'obliger à lui faire face.
- Tu sais, on peut aussi se contenter de récupérer à manger et se trouver un coin pour pique-niquer dehors ? me propose-t-il avec sollicitude.
Avec la conviction d'un condamné à l'échafaud, je secoue la tête.
- Il faudra bien que je les affronte à un moment ou à un autre, signalé-je, abattue.
- Peut-être mais on peut y aller un peu plus progressivement aussi. En cours par exemple ; une classe par une classe, sous la tutelle d'un professeur, par exemple, avant de te jeter en pâture au milieu de la moitié de l'école...
Douce tentation. Mais je ne dois pas oublier d'arracher le sparadrap en une fois.
- Tu sais pertinemment que ce n'est pas mon genre, affirmé-je en feignant l'assurance. Et puis, par ce temps merveilleux, je ne voudrais pas que tu te transformes en yéti tout mouillé...
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L'Ecole des Neuf Muses (T2)
Fiksi RemajaAprès avoir frôlé la mort avec Adam, Will a finalement décidé de rester aux Neuf Muses afin de rester auprès de ses amis en dépit de la menace qui pèse sur elle. Après la dernière révélation de leur ennemi, jamais Adam et Will ont été aussi proches...