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ᴅéᴄᴇᴍʙʀᴇ 𝟷𝟾𝟿𝟽

Un voyage seul dans l'un des compartiments du Poudlard Express et Gellert est de retour à Godric's Hollow. Sa grande-tante l'attend sur le pas de la porte de la même façon que l'a toujours fait sa grand-mère. Les deux femmes se ressemblent d'ailleurs sur de nombreux points, surtout au niveau du caractère, et le jeune homme a parfois l'impression dérangeante de se trouver avec l'une alors qu'il est avec l'autre. De même, le village et la maison sont le même genre de lieu : une bâtisse à peine plus tenace qu'une cabane dans un climat où il pleut la plupart du temps. Cela fait au moins une bonne excuse Gellert - s'il en fallait une - pour rester cloîtré dans la maison. 

Il salue poliment Bathilda mais écourte la conversation au maximum puis il s'enferme dans sa chambre et réfléchit encore une fois à son plan. Plus il y pense, plus celui-ci s'affine. Que fera-t-il de tout son pouvoir après l'avoir obtenu ? Tout. C'est ça qui l'attire. Toutes les possibilités que renferme la magie. Et la magie noire encore plus, puisque qu'elle est interdite. Qu'importe le danger s'il se mesure à tout ce qui est possible. Et rien désormais rien n'est impossible.

Cependant, même avec un plan tout tracé il ne faut pas faire les choses à la légère. Inutile de partir à la chasse aux reliques avant la fin de l'année scolaire. Il ne pourra pas transplanner à plus de trois kilomètres d'un coup sans avoir besoin d'un long repos après. Commencer la quête dans les conditions actuelles est irréaliste. Heureusement il a une patience à rude épreuve. 

C'est la règle de ne pas pouvoir faire de magie en dehors de l'école qui rend les choses le plus compliquées. Et le fait que le petit village ne possède aucune bibliothèque. En fait il ne possède pas grand chose à part une église, un cimetière et quelques épiceries. Alors Gellert finit par s'ennuyer et accepte - dans un élan d'altruisme étonnant - d'aller participer au ravitaillement de la nourriture de la maison pour en épargner la corvée à Bathilda et voir autre chose que le papier peint de la pièce à coucher. 

❇︎

Ce n'est pas l'ennui qui inquiète Albus à son retour dans le village de son enfance, réalise-t-il. C'est au contraire cette sollicitation constante. Une heure ce sont les reproches d'Aberforth, une autre les crises d'Ariana ou bien encore les requêtes de sa mère. Il n'a pas un seul moment à lui pour s'imaginer vivre ailleurs. Oh, il aime sa famille, mais il ne sait jamais comment agir avec elle. Il veut rendre fière sa mère tout en restant modeste pour ne pas passer pour égoïste ou prétentieux auprès de son frère.. et peu importe la façon dont il se comporte avec Ariana c'est toujours avec incompétence et maladresse.

Il ressent seulement de la honte, de l'impuissance et de l'incapacité. Il ne sait même pas comment il pourrait s'améliorer. Chaque nouvelle tentative semble aggraver les choses. 

À l'épicerie des Harbor, il passe un temps fou à choisir quel fruit prendre sans oser demander conseil pour prouver qu'il se débrouille mais il est anxieux à l'idée d'être à coté de la plaque. Quelle type de pommes mange sa famille ? Il aurait dut être plus observateur. Il est quasiment sûr de n'avoir jamais mangé que des pommes rouges, mais les pommes vertes sont moins chères et il ne veut pas être accusé de dilapider les maigres revenues de sa mère. 

« Tu as oublié la laitue. observe Aberforth quand il déballe les provisions sur la table en bois de ce qui sert de salon tandis que son frère coupe des légumes à une vitesse impressionnante. 

La culpabilité d'Albus se fait plus forte. Aberforth pourrait aisément se débrouiller seul, acheter n'importe quel fruit sans aucune hésitation et répondre au besoin de sa famille à la perfection. Il parait mille fois moins égoïste que Albus, davantage prêt à se sacrifier. Parfois le jeune homme voudrait être comme cela, capable de faire passer la vie des autres avant sa sienne, mais ces bonnes résolutions ne durent jamais assez longtemps. Il finit toujours tel qu'il a commencé. 

- Je suis désolé, j'y retourne immédiatement. 

- Non, j'y vais. Je serai plus efficace. »

Crois-il qu'Albus profite des courses pour flâner dans les rues ? Merlin. Il n'a même pas eu le temps de demander s'il pouvait se rendre utile à autre chose, Aberforth a déjà enfilé de quoi se tenir chaud et claqué la porte. 

En remontant dans sa chambre, Albus passe devant celle de sa mère où il voit la femme endormie sur le lit, toute habillée car elle s'est effondrée de fatigue avant d'avoir l'occasion de se coucher. Ses cheveux grisonnent, ses traits se rident et sa robe s'use. Elle est pourtant encore jeune, même pas une cinquantaine d'années... Mais la pauvreté fait vieillir, dit-on. 

Puis il ouvre discrètement la porte close de sa petite soeur. Elle aussi dort, mais parce qu'on l'a forcée à le faire pour ne pas avoir à la surveiller pendant un temps. Elle est en chemise de nuit, entortillé dans plusieurs couches de draps; Surement bordée par sa Kendra ou Aberforth. Ses cheveux bruns dégringolent autour de son visage. Endormie, on croirait voir une enfant comme les autres. C'est au réveil qu'on comprend son regard vide et ses cris. En vérité c'est probablement pour elle que les choses sont les plus dures. Elle souffre tout le temps, combien de temps passe-t-elle a retenir ses crises ? Quand elles se produisent, ne se sent-elle pas enfin libérée ? 

De retour à son bureau il ne peut plus faire taire son angoisse et voilà qu'il rumine. Aime-t-il sa famille comme il devrait ? Ne serait-il pas soulagé si l'un∙e d'elleux venait à mourir ? Ce sont les fous qui pensent ça... comment ose-t-il ?!

Il ouvre un nouveau livre pour se changer les idées, mais le revoilà vite sur Terre. 

« On mange. Dit son frère à travers le mur, secouant doucement l'épaule de sa mère dans la chambre voisine. 

- Tu as préparé le repas ? Oh Abel, tu es un ange. »

On ne peut pas en dire autant de toi, Albus.

Il a songé à refuser de partager le diner avec sa famille. Il n'a pas faim, pas envie de se confronter de nouveaux aux responsabilités que les autres tiennent mais qu'il ne tiens pas... Mais ce serait le comble de la condescendance de rejeter les efforts que fait son frère et qu'il est incapable de reproduire. Alors il descend et subit les regards froids, les silences et la honte. 

Il ne peut pas dire qu'il ne les a pas mérité∙es, c'est certain. Il est l'ainé et le plus pathétique alors que son cadet est le plus adulte. La benjamine n'entre pas dans la course, mais elle au moins a de bonnes excuses.

smalltown boysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant