Falling For Heaven | En pause jusqu'à novembre 2024

𝟏𝟐 - 𝐒𝐞𝐚, 𝐒𝐞𝐜𝐫𝐞𝐭𝐬 & 𝐒𝐮𝐧

𝐇𝐞𝐚𝐯𝐞𝐧.

Il y a un an à cette heure-ci, de l'autre côté de l'hémisphère, j'étais sans doute en train de courir ou pédaler entre deux quartiers, sous la grisaille humide et automnale londonienne, pour rejoindre mon deuxième – ou troisième – petit boulot. Quatre demi-journées par semaine, durant un an et jusqu'à ce qu'il me faille démissionner pour poser mes valises sur ce continent, j'ai officié au Central Café, à l'intérieur même du musée d'Histoire Naturelle, dans Kensington. J'enchaînais mes différents services à une vitesse aliénante, avec tout juste le temps d'avaler un petit sandwich. Ou de quoi tenir jusqu'à pouvoir ouvrir mon frigo acheté d'occasion, en rentrant au studio. Le plus souvent après une heure du matin. Simon était déjà endormi au milieu de ses bouquins et notes, et demain ressemblait toujours à hier.

L'ennui n'était pas dans mon vocabulaire, le repos non plus. Me prélasser des heures sans rien faire n'était qu'une vague chimère. Un fantasme irréalisable pour moi, seulement à la portée des autres. Mais ça m'allait. Il faut ce qu'il faut pour atteindre nos objectifs. Je ne m'en plaignais pas car cette vie, c'était celle que j'avais choisie et non plus une que je subissais sans pouvoir prendre mes propres décisions. Du moins, je le pensais. Ou alors était-ce plus facile de m'en convaincre ?

Me voiler la face pour panser et museler mon cœur qui lui, devait savoir.

Aujourd'hui, tout a changé. Sur l'autre face du globe, là où il y a six ans je n'aurais jamais imaginé atterrir, chaque rayon de soleil tannant ma peau participe à l'élaboration d'une nouvelle version de moi. Tant bien que mal, je tente de laisser dans un trou noir de ma tête mes doutes et mes insécurités, sans pour autant totalement occulter mes échecs. Ils sont le balisage d'un chemin à fouler, comme pour me rappeler que l'expérience est la science obligatoire de l'apprentissage. Je ne dois pas rester ancrée dans mes déceptions mais les considérer comme des leçons de vie utiles pour avancer. Et je veux avancer. À pas de fourmi ou de géant, même si rien ne me fera rattraper les années, témoins d'une existence fade dans laquelle je suffoquais.

À présent, je me sens comme un lépidoptère patient dans sa chrysalide. Je ne suis pas encore un papillon prêt à déployer ses ailes pour s'envoler en toute sérénité, mais une larve curieuse de ce qu'elle va devenir lorsque la phase de métamorphe sera achevée. J'ai faussement cru avoir mué lorsque j'ai quitté Atlanta mais j'avais tort : ce n'est que depuis quelques semaines que mes poumons fonctionnent enfin d'eux-mêmes, sur un tempo qui n'appartient qu'à eux.

— Heaven ? me glisse Sarah dans un chuchotement pour ne pas réveiller le petit Teddy, en pleine sieste sous sa petite tente de plage logotée Toy's Story, à l'abri des UV.
— Humm ?
— Je ne veux pas faire ma précieuse, mais tu es sûre que tu ne veux pas un transat ? Tu serais mieux installée.

Allongée sur ma serviette à même le sable tiède avec lequel j'ai modelé un oreiller, je roule sur le flanc droit pour mieux l'observer sur son bain de soleil. Rien que la pensée d'où je me trouve me fait esquisser un sourire en croissant de lune que je ne peux réprimer. Depuis que nous sommes arrivées, mes pieds n'ont eu de cesse de s'enfouir dans le sable fin pour apprécier cette caresse inédite. Car j'ai beau être en Australie depuis plusieurs semaines, c'est la première fois que je vois l'océan d'aussi près.

La première fois que je vois vraiment la mer, aussi.

À Atlanta, je n'ai connu que la verdure du parc qu'il ne fallait jamais appeler « jardin », le béton de la ville, l'intérieur aseptisé de la demeure familiale et l'enceinte du lycée. La rivière Chattahoochee qui traverse l'Etat n'est qu'une connaissance apprise lors de mes cours de géographie, tout comme les lacs Allatoona et Lanier. À Londres, je m'asseyais de temps à autre face à la Tamise pour en capturer les couleurs olivâtres tout en humant les odeurs propres au fleuve.