𝐂𝐚𝐥𝐝𝐞𝐧.
Les dernières lueurs de la journée confèrent à l'horizon des reflets cuivrés saisissants. J'aime ce tableau, ce calme dans lequel nos regards peuvent se perdre, quel que soit notre âge. Quand on était gamins, avec Riley, on montait sur les branches d'un vieil eucalyptus pour regarder la savane s'endormir. Le panorama n'avait rien à envier à la télé. Puis ado, j'ai rencontré l'océan. Les couleurs de mes soirées ont changé, les odeurs aussi, mais le crépuscule restera mon moment préféré de la journée.
Depuis mon arrivée à Melbourne, quand Charlie nous a ouvert sa baraque, je ne me suis pas dit une seule fois que j'aurais dû rester dans le Bush. Je ne pourrai jamais me passer de retourner à La Réserve plusieurs fois dans l'année, indépendamment du fait que mes parents y finiront leur vie, mais la mienne est ici ; les pieds au bord des vagues. Très vite, le surf est devenu une part de moi. Même si je n'étais pas aussi doué que mon frère, je faisais partie des espoirs du Club. Charlie nous a tout appris, et ça dépassait de loin le cadre du sport. Avec ses éternelles chemises hawaïennes et ses tongs qu'il porte même quand il pleut, il a l'air d'un hippie un peu perché, bloqué dans ses vingt ans, alors qu'il a du savoir à revendre et de l'expérience à distribuer.
Un éclat de rire me secoue de l'intérieur en faisant éclore ma bulle. Même cloîtré dans mes pensées, la fille-sourire arrive à me perturber. Impossible de la fuir, d'oublier son odeur ou ses regards flingueurs. Heaven est partout. C'est presque l'enfer de me trimballer avec son visage où que j'aille. Quoi que je fasse.
Peut-être pas encore l'enfer, mais je suis en plein chaos.
Son petit corps bouillant collé au mien était une épreuve. L'avoir si proche, la voir si près. Ne pas pouvoir contrôler mon langage corporel qui lui balançait à quel point je ne suis pas insensible à ses petits sauts pour rattraper le ballon ; ni ses cris enthousiastes quand elle visait juste, tombait fort, sautait haut. C'était le summum de la frustration, celui qu'on atteint au fond du gouffre. Le tout devant ma famille et mon staff presque au complet. Angela, bordel ! Je vais en entendre parler longtemps. Je crois que j'aurais préféré merder grave et poser mes lèvres sur les siennes. Jouer un morceau du scénario impudique que j'avais en tête, pour me purifier un peu de ce désir qui coule dans mes veines, empoisonne mon esprit et contamine mon deuxième cerveau.
— Tu crois que tu vas pouvoir déconnecter ?
La voix amusée de Morgan m'agace. Son sourire en coin d'enfoiré cynique qui a tout compris à ma vie aussi. Comme Riley, il sait où appuyer pour que ça ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. Malheureusement pour moi, cet emmerdeur me connaît trop bien ; il ne repartira pas comme il est venu, peu importe que je l'ignore ou que je l'envoie chier. Le mieux que j'ai à faire pour m'en débarrasser, c'est de l'écouter s'écouter parler et de faire comme si je collaborais.
— Tu sais un jour, faudra que tu te trouves quelqu'un d'autre à psychanalyser, Morgan ?
— Pourquoi pas, me tend-il sa main pour me relever. Mais pour ça, j'attends déjà que tu sois un peu moins con. Donc tu vois, j'ai le temps pour ton cas, et ça ne dépend que de toi.
— Dis plutôt que t'as sauté toutes les nanas de Melbourne et qu'en attendant la nouvelle vague de vacancières, tu t'occupes en te mêlant de mes affaires.Je sais avant même d'avoir terminé ma phrase que je viens de lui tendre une perche que le grand enfoiré gaulé comme un All Blacks va s'empresser d'attraper. Loin d'être vexé de la tentative de le décourager, il se marre dans sa paume puis gratte sa barbe naissante. Le problème avec ce type, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de sujets sur lequel je peux le chambrer. Ses collègues de la caserne ont dépucelé son sens de l'autodérision et testé à peu près toutes les vannes piquantes possibles et inimaginables. Il est fier de sa carrure qui ne passe pas partout, des brûlures qu'il porte aussi bien que ses tatouages, de ses boucles blondes sur le haut de son crâne et de sa balafre sur son pec droit, souvenir d'un accident de la route qui aurait pu plus mal tourner. De là est née sa vocation à sauver des vies.
Avant de s'en découvrir une deuxième : me fourrer la tronche dans mes dénis.
Comme moi, sa réputation d'homme à femmes le précède. Contrairement à moi, il dément fréquemment les fausses lignes de son tableau de chasse.
— Je ne vais peut-être pas avoir besoin d'attendre les vacances de Noël. Y'a une américaine très charmante ouverte aux visites guidées. Si Justin a réussi à lui proposer une excursion, il n'y a pas de raison que je ne décroche pas un ticket, mec. Je connais le coin comme le fond de ma poche, et j'aurais pas mal d'interventions à lui raconter. Les filles aiment bien les histoires de pompiers. Le feu, ça en fait mouiller plus d'une. Je suis sûr qu'elle nous cache une fougue qui doit être explosive au pieu...
Il plisse les yeux sans détourner son regard du mien. Mon cerveau ne sait plus quelle info traiter en premier. Qu'Heaven a cédé à l'insistance de Justin, que Morgan a encore réfléchi à comment vérifier ses théories fumeuses ou qu'il est potentiellement sérieux, disposé à inviter ma serveuse pour me faire réagir. Voire plus si affinités. Je ne sais pas non plus si je devrais lui faire bouffer du sable pour me pousser aussi près de mes limites, ou du moins essayer de lui coller la tête dedans, ou le remercier d'être un véritable ami en voulant me secouer les tiques.
L'américaine s'est infiltrée partout, même entre Morgan et moi.
— Ne joue pas avec mes nerfs, Morgan.
— Ne joue pas au plus malin, Calden. T'es peut-être le plus futé de nous deux, mais je te promets que tu seras définitivement le plus con des abrutis finis du pays si tu ne vas pas au bout de ce truc qu'il y a entre vous. Pas vraiment le genre de médaille dont tu serais fier, mon frère.Touché. Pas encore coulé.
Ma bouche me démange de beugler qu'il n'y a rien, qu'il invente tout et peut faire ce qui lui chante avec Hendrix. Ma tête me liste plusieurs autres possibilités pour mettre fin à son sermon à la con, mais mon corps, lui, a déjà choisi son camp et me prépare un autre refrain.
« Je la veux, et tu vas devoir te soumettre à ma volonté ».
J'ai encore de quoi lutter.
Finalement, je choisis une autre option : contourner mon ami pour rejoindre le groupe. Parce que lui mentir ouvertement serait trahir les années derrière nous, et que ma mauvaise foi que j'assume de moins en moins ne vaut pas le quart de l'estime que je porte à ce type. Je suis un connard, oui, mais pas avec tout le monde, pas n'importe comment. Un abruti de connard qui, juste un fois, aimerait oublier pourquoi il l'est devenu ; qu'il ne peut plus faire machine arrière.∞ ∞ ∞
Notes :
All Blacks : équipe de rugby à XV de Nouvelle-Zélande
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Falling For Heaven | En pause jusqu'à novembre 2024
RomanceElle semble réservée mais lumineuse, indépendante. Interdite. Séducteur assumé, il ne vit que pour son bar et sa famille. Quand Heaven débarque en Australie, elle pense vivre la plus belle expérience de sa vie. Pourtant, ses espoirs partent subiteme...