𝐂𝐚𝐥𝐝𝐞𝐧.
C'est rare mais ça arrive. Des soirées où on est tous à couteau tendu, à guetter nos montres pour savoir quand on va pouvoir fermer les portes, rentrer chez nous et mettre derrière nous cette interminable journée. Tout un service à nous lancer des regards las plus équivoques que de longues phrases. On est en plein dedans. L'équipe essaie de garder le sourire face aux clients, malgré cette mauvaise tension qui flotte dans le boozer, mais le cœur n'y est pas.
23 h 02. Encore une heure à tenir.
— Tu peux me sortir les notes pour la 7, 22 et 16, Calden ? me lance Ming, par-dessus le comptoir et le bruit ambiant.
— Je te fais ça.Elle hoche la tête et s'apprête à parler quand elle se fait, de nouveau, bousculer par deux étudiants, trop pressés de commander pour être vigilants à ce qu'il se passe autour d'eux. Riley, qui a tout vu, sentant que ma patience arrive au bout de ses possibilités, les reprend avant moi :
— Si vous comptez boire autre chose qu'un verre d'eau servi avec une paille enfant, les gars, je vous conseille de vous excuser. Tout de suite.
Bras tendu, muscles bandés et mâchoires durement contractées, mon frangin n'est finalement pas moins sur les nerfs que moi. L'un après l'autre, il scrute sévèrement les deux pantins dans leurs sweats vert bouteille logotés des initiales de leur sororité. Ils perdent tout à coup leur assurance et leurs sourires d'abrutis. Ils ne comprennent pas ce qu'on leur reproche, n'ont même pas dû sentir les cinquante kilos de Ming, mais percutent que Riley ne plaisante pas. L'un des deux, un peu plus malin que son pote, finit par avoir la bonne idée de checker sur sa droite, puis sur sa gauche. C'est là qu'il rencontre les yeux pleins de colère de ma serveuse. Ming serait bien prête à leur sauter dessus, si on lui en donnait l'autorisation.
Et ce n'est pas l'envie qui me fait défaut. Mais on en a assez chié aujourd'hui, terminer au poste de Police n'est pas dans mes plans.
Les deux crétins finissent par s'excuser, récupèrent leur tournée et se tirent plus vite que leurs ombres. Je laisse Riley terminer avec Ming et me cale aux prépas, entre Jasper et Mac. Je ne sais pas comment elle fait, mais ma barmaid est la seule qui ne force pas ses sourires. Au milieu de ses verres de toutes tailles, des spiritueux haut de gamme, fruits frais et sucres colorés, Mackenzie s'éclate, se déhanche, fredonne des airs entraînants, fait valser ses shakers comme la pro qu'elle est et tente d'invoquer une bonne ambiance dans ce coin du bar.
Malheureusement, ses efforts n'ont que peu d'effets sur moi. Je ressasse tout, trop, comme pour m'éloigner du vrai problème, que je noie au milieu du bordel qui s'accumule vite.
Cette journée plus longue qu'une semaine entière a commencé par la visite de Molly. Il n'était même pas 8 h 00 quand cette garce s'est pointée sur le pas de notre porte, le doigt en appui long sur la sonnette. Pas du tout le genre de réveil que j'apprécie ; ça annonçait déjà bien la couleur. Robe moulante beige, trench assorti, lunettes de soleil lui bouffant la moitié du visage et talons aiguilles aussi pointus que ses ongles rouges de sorcière, voir sa tronche de pimbêche de bon matin m'a filé des envies de meurtres.
Sérieusement, qui se plaindrait de sa disparition ?
Sans surprise, elle voulait voir Riley. Depuis la terrasse où je me suis enfilé un triple expresso bien serré, leur laissant un peu d'intimité tout en restant suffisamment proche si mon frère avait besoin de moi – pour la foutre dehors sans douceur, par exemple –, j'ai suivi leur conversation. Ou plutôt, leur dispute, qui donnait à peu près ça :
— On m'a proposé un gros contrat.
— Quand ?
— Noël, mais...
— Tu fais ce que tu veux mais tu connais les conséquences, pas la peine de venir pleurnicher chez moi. Je ne plaisantais pas quand je t'ai dit que je ne te ferai plus de cadeaux.
— Mais c'est ma carrière !
— Et Teddy est ton fils, Molly. Tu as choisi toute seule d'aller au bout de cette grossesse, avant même de me prévenir que tu étais enceinte. J'ai choisi d'assumer, mais Teddy, lui, n'a pas demandé à être abandonné par une mère qui le fait passer après le reste et ne s'occupe de lui que quand elle a trois minutes dans son emploi du temps. J'en ai marre d'avoir encore et encore cette conversation avec toi. T'as besoin d'un mail officiel pour imprimer ça ou quoi ?
— Tu n'es qu'un hypocrite ! Tu me reproches mes absences alors que tu me menaces de demander la garde complète ! Je suis sûre que c'est à cause d'elle, hein ? C'est elle qui t'a fourré ces idées dans la tête !
— D'une, je t'interdis de mêler Sarah à nos histoires. Tu es largement assez douée pour me pousser à prendre des mesures. De deux, grandis un peu Molly, bordel ! Je veux un cadre pour Teddy, une stabilité. Ce qu'on fait depuis qu'il est né, ça ne peut plus durer. Il ne sait jamais quand il sera avec toi ni combien de temps ça va durer. Je t'ai laissé plusieurs chances. Tu as eu un ultime avertissement. C'est terminé.
— Je suis mannequin, je ne peux pas attendre dix-huit ans qu'il ait grandi, je te signale. Le temps ne va pas se mettre en pause pour moi. C'est maintenant que je suis au top, que ma carrière décolle en dehors de la ville et...
— Il fallait y penser avant ! Tout ce qui t'intéressait, c'était d'avoir un moyen de me garder moi, mais ça n'a pas marché comme tu l'avais prévu.
— Tu ne peux pas m'empêcher de vouloir travailler, gagner ma vie, Riley.
— Ce n'est pas ce que je fais. Tu peux bosser, mais tu dois composer avec ton fils et tes responsabilités, comme le font tous les autres parents.
— Je n'ai pas le métier de monsieur et madame tout le monde.
— Et on en revient encore au même point : tu as voulu mettre au monde un enfant. J'ai été clair Molly : soit tu assumes ta maternité et tu y mets du tien, soit je prends un avocat et on discutera de tout ça devant un juge. Tu auras ton temps de garde acté, et tu devras le respecter. J'en ai marre d'être ta solution de secours alors que c'est à toi de t'en occuper, de devoir réorganiser ma vie quand tu me le déposes à l'improviste, de devoir solliciter mes proches quand ce n'était pas prévu. Si je dois l'avoir 80 % du temps, je ferai en conséquence. Mais mettre ma vie entre parenthèses même quand ce n'est pas mon tour de garde parce que je sais pertinemment que tu vas me la foutre à l'envers, c'est fini, compris ?
— Espèce de...
— Connard, oui, je sais. Tu me le dis assez par messages. Maintenant, si tu pouvais aller m'insulter ailleurs, de très loin, je t'en serai reconnaissant. Tu m'as filé la migraine.
— Je suis sûre que tu le regrettes !
— Non Molly, la seule chose que je regrette, c'est une unique nuit où je n'ai pas pensé avec le bon cerveau. Une nuit qui m'oblige à t'avoir sur le dos pendant encore une décennie et demie, alors ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit, putain !
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Falling For Heaven | En pause jusqu'à novembre 2024
RomanceElle semble réservée mais lumineuse, indépendante. Interdite. Séducteur assumé, il ne vit que pour son bar et sa famille. Quand Heaven débarque en Australie, elle pense vivre la plus belle expérience de sa vie. Pourtant, ses espoirs partent subiteme...