Chapitre 3

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[ETHAN]

— Bonjour Anna.

Lorsqu'elle pénètre dans l'enceinte de mon bureau, je laisse mon regard glisser lentement le long des courbes qu'elle dévoile à peine à travers ses vêtements. Et à peine est-elle rentrée que l'ambiance devient électrique autour de moi. Elle suit sa trajectoire, elle est là, présente, à l'heure. Elle ne veut sûrement pas d'autres remarques de ma part et indirectement, ça me fait sourire. C'est drôle de voir l'effet qu'on peut avoir sur les gens, les voir agir différemment devant nos yeux.

Il est huit heures. Voilà maintenant une heure trente que je suis au bureau et j'ai déjà fumé une dizaine de cigarettes tout en observant la pluie tomber dehors. Le temps est mauvais, ces temps-ci. Pourtant, ça ne me dérange pas. Il faut croire que la pluie a des vertus que l'on ignore, dont l'une d'elles est de me détendre instantanément lorsque j'entends le bruit des gouttes s'abattre sur la baie vitrée. D'une oreille distraite, j'écoute le bruit de ses talons frapper le parquet pour se diriger vers son bureau à elle et je ne peux m'empêcher de sourire en remarquant les traces que forme l'accumulation d'eau sous ses semelles. On pourrait presque la suivre à la trace, ses pas imprimés sur le parquet ancien que j'ai gardé et qui s'effacent au fur et à mesure qu'elle continue de s'avancer. Le charme, l'ancien. C'est ce que j'aime. Le bois, le craquement que certains pas peuvent provoquer sur la jolie boiserie qui travaille perpétuellement.

Dans la continuité des choses, mon esprit se dirige un instant vers la possible réaction d'Anna lorsqu'elle a dû s'infiltrer dans son bureau et qu'elle a dû y voir le café encore chaud que j'ai fait déposer quelques minutes avant son arrivée sur son bureau. Sur une note, seul un petit :

Juste un café, pas une déclaration d'amour.

Des mots qu'elle a déjà sûrement dû entendre, des mots tout droit sortis de ses lèvres. En y repensant, un sourire se dépose sur mes lèvres. J'espère que l'intention lui réchauffera le cœur et que la tension passera. Ou du moins, qu'elle s'atténuera. Peut-être qu'avec le temps, qui sait ?


[ANNA]

Est-ce que ce sont des regrets ? Des remords ? Un simple élan de sympathie pour se prouver à lui-même qu'il n'est pas un connard fini, ou bien juste l'attention pure, sincère et désintéressée, d'un café qui ne vaut pas une déclaration d'amour. Quoiqu'il en soit pendant dix minutes je n'y touche pas : je le regarde simplement, et finalement je me dis que c'est stupide. Ne pas boire un café par souci de fierté c'est sacrément stupide, alors je le bois, et je me mets à travailler. C'est le deuxième carton de manuscrits auquel je m'attaque, la deuxième fois que mon bureau se retrouve envahi de tout un tas de bouquins que je trie sans voir défiler les heures, sans les compter, à coup de shots de café et sous le bruit régulier des rafales de pluie qui s'écrasent contre la fenêtre. Combien de temps je passe comme ça, à moitié courbée sur mon bureau, je n'en ai aucune idée et c'est ça mon problème en réalité : je ne sais jamais m'arrêter. Quand je suis lancée c'est difficile de me faire décrocher de ce que je fais. Alors c'est un tiraillement dans mon ventre qui me fait relever la tête, un pincement désagréable qui annonce la faim, et une heure de pause déjeuner largement dépassée. Je me redresse, enfile mon imperméable que je cintre et noue autour de ma taille, j'attrape mon sac, et lorsque je passe par le bureau de mon patron pour rejoindre l'ascenseur, je réalise que lui non plus ne sait pas s'arrêter. Un défaut commun, donc, et ses yeux bleus viennent croiser les miens en m'arrachant un sourire un peu plus sincère qu'hier.

— C'est l'heure de manger. Et merci pour le café !


[ETHAN]

Une nuit à Paris - Tome 1 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant