Chapitre 16

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[ANNA]

Nous n'avons jamais repris cette discussion. Elle s'est arrêtée là et il n'y a jamais eu aucun autre moment pour en parler, pour se dire d'autres choses, d'autres mots – et maintenant que je repense à ce moment, quand je regarde en arrière, je me dis qu'on aurait pu se parler davantage. On aurait pu se confier certains autres secrets, on aurait pu mieux faire, essayer plus fort. On aurait pu se retenir ou bien se donner une chance ; discuter plus longtemps. Les semaines sont passées ensuite. On a vu défiler tour à tour les quatre saisons jusqu'au Noël prochain et il n'y a plus eu de regards volés, de mains qui se perdent, de sourire en coin. Rien de tout ça. Je me suis mise officiellement avec Aaron le douze février, deux jours avant la Saint-Valentin pendant laquelle il m'a offert un week-end à la mer. Il a rencontré mes parents un mois plus tard, j'ai rencontré les siens en juin, a priori tout est parfait et pourtant je trouve ça tellement lisse en réalité. Quand on a emménagé ensemble le mois dernier, je me souviens avoir pensé, juste une seconde, que je ne serai jamais vraiment heureuse. Comme ça, aussi fugace que peuvent l'être les pensées : je ne serai jamais vraiment heureuse – et puis envolée cette idée. Comme je n'ai pas voulu y prêter trop attention, j'ai essayé de l'oublier. Parfois la pensée revient quand je rentre le soir du travail et que je le trouve affalé sur le canapé ou bien sur sa console de jeu vidéo, elle revient aussi quand on se promène et qu'il me parle des impôts, de son feuilleton télévisé ou de la chemise neuve qu'il doit s'acheter pour son repas d'affaires au boulot. Et une cravate aussi – je passerai au pressing, tu m'écoutes Anna ? Et je hume à chaque fois, je souris, et je me dis que je m'ennuie. Alors ce soir, lorsque je passe le pas de la porte, je ne retire pas mon manteau ni mes chaussures mouillées par la pluie, et je tente un sourire en entrant dans le salon.

— Tu vas mettre des gouttes partout, j'ai fait le sol ce matin, il râle alors, et je hausse les épaules en retirant la capuche de mon imperméable.

— Tu veux qu'on sorte ?

— Un lundi ?

— Pourquoi pas ?

— Je suis fatigué, Anna.

Une petite moue se dessine alors sur mon visage. J'incline la tête, je lui fais mes jolis yeux de biche :

— On se fait un cinéma, allez ?

Mais il râle en se redressant de son fauteuil.

— Vendredi soir, plutôt ? Sérieusement, je suis claqué.

— Y'a pas besoin d'être en forme pour aller au cinéma. Il y a juste besoin de s'asse –

— Bordel, tu vas m'emmerder longtemps ?

Et ça me coupe le souffle. Le ton agressif qu'il utilise soudain envers moi me fait froncer les sourcils, et un masque froid apparaît sur mon visage en chassant toute la bonne humeur que j'avais en arrivant.

— Comment tu viens de me parler ?



[ETHAN]

On dit que le temps apaise la douleur, qu'il atténue le chagrin et le transforme en souvenir. On dit que le temps change les choses, on dit aussi qu'il est temple de guérison. Pourtant, je n'ai pas l'impression que ce soit vrai. Le temps est un euphémisme, une chose que l'être humain a inventée pour se rassurer sur son passé, son présent et son futur. Il est là pour mettre des bases sur la vie humaine, il est là pour ne pas se laisser dépasser par les événements et les émotions. Pourtant, il ne laisse rien traîner. Il passe, sans même regarder derrière. Il passe et laisse parfois derrière lui des traînées d'émotions là où normalement, il devrait guérir. Oui, Andy a raison. Ce ne sont que des on dit, mais le temps ne fait que passer et nous devons changer les choses nous-mêmes, nous nous devons de faire ces changements pour ne pas nous effondrer dans un tourbillon de souvenirs que l'on cherche à éviter, que l'on cherche à effacer.

Une nuit à Paris - Tome 1 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant