[ANNA]
Je n'ai pas pris qu'un café. Au buffet il y avait un tas de viennoiserie qu'on ne trouve qu'ici et qu'on ne fait pas à New York, et c'est donc avec des croissants et des pains au chocolat que je reviens à notre table, en posant le tout entre nous deux pour qu'il puisse en manger aussi. Et comme il a l'air décidé à travailler, je sors moi aussi mon ordinateur pour ouvrir mes mails et l'agenda collaboratif. Apparemment tout va bien à New York. Il y a quelques comptes rendus de réunions auxquelles nous n'avons pas pu assister, et dont je prends connaissance tout en prenant un morceau de croissant – délicieux, je note en moi-même, et l'heure passe ainsi sans qu'on ne voie les minutes glisser. Jusqu'à ce que vienne l'heure d'aller visiter la librairie dont Ethan m'a parlé hier, celle qui se trouve en bord de Seine. Il n'y a même pas besoin de prendre la voiture pour y aller, et j'en profite pour observer le paysage parisien, les feuilles mortes qui recouvrent les allées bien que le soleil soit haut dans le ciel d'acier. Pas de nuage à l'horizon, il ne fait pas si froid, et je glisse un regard en biais à mon patron qui semble perdu dans ses pensées.
— Vous avez visité beaucoup de pays ?
[ETHAN]
— Assez, je dirais.
Enfin. C'est un bien grand mot, en réalité. Je voyage, parce que je travaille. Voilà tout. C'est ma réalité. Tout est lié avec mon boulot. Toute ma vie ne tourne qu'autour de ça, une véritable partie de moi.
Mon regard se perd sur la voie en face de nous. Elle se prolonge, elle a l'air si longue. Et j'observe. Je détaille les personnes qui marchent d'un pas plus ou moins pressées, je regarde la verdure qui manque tant à New York, les arbres qui se tiennent un peu partout, l'odeur de la pollution liée aux voitures, l'architecture de Paris... et je pousse un faible soupir.
— Et vous ? Vous avez beaucoup voyagé ?
On continue de marcher, on profite du brin d'air qui caresse nos corps lourds de la fatigue qui s'accumule mais aussi de la lassitude que nous ressentons face à la situation. Face à ce qui se tient entre nous, qu'on arrive à peine à comprendre.
— Nous allons arriver.
La librairie se trouve finalement sur notre droite et je me rapproche de la porte en forçant un sourire. Morris mérite bien plus qu'une mine déconfite.
— Ethan ! Enfin ! Tu es là.
Son tutoiement me fait doucement sourire et je me rapproche du vieil homme en détaillant sa mine heureuse, détendue. Je lui serre la main et je lui présente par la suite Anna.
— Morris, je te présente Anna, c'est –
— Oh. Tu nous ramènes enfin une demoiselle !
— Non, non. C'est Anna. C'est mon assistante.
— Oh. Très bien. Enchanté, Anna.
Il se reprend, commence à parler tranquillement à Anna avec son accent français et je ne peux m'empêcher de sourire en observant la librairie que j'aime tant, les souvenirs qui remontent en moi. Et ça me fait du bien de me retrouver dans un lieu dont j'apprécie tant l'endroit et les bribes de souvenirs.
[ANNA]
Après avoir parlé un peu avec le libraire, je m'autorise à faire un tour. La librairie est sur plusieurs étages et contraste radicalement avec l'image que se donne notre maison d'édition, dont les bureaux sont maculés de blanc, de marbre, minimalistes à souhait et décorés de cadres froids et de plantes artificielles mais plus vraies que nature. Ici c'est l'inverse. Le parquet craque quand je me déplace, il y a des livres partout, même dans les escaliers encombrés de piles de bouquins qu'on doit éviter habilement pour ne pas tomber. Ethan est un mystère. Comment peut-il affectionner un endroit si différent de son quotidien, un endroit si bordélique quand il aime tant avoir la tête claire et ordonnée. Il est un mystère, et moi je continue à grimper jusqu'à l'étage le plus haut, le quatrième, sans aucun public. Personne ne fait apparemment l'affront de monter jusqu'ici, et c'est peut-être la raison pour laquelle il est entreposé un tas de livres souvent boudés du public. De la littérature pointilleuse, des beaux livres, de la poésie abstraite ou étrangère et bien sûr traduite en français. Le seul livre que je puisse comprendre et appréhender, c'est un livre plein d'images d'un artiste peintre que je ne connais pas. Joan Miro. C'est coloré, abstrait, pas vraiment à mon goût – sûrement parce que je n'y connais rien en art, et que ma culture s'arrête à cinq ou six grands noms. Je me hisse alors sur la pointe des pieds pour en attraper un autre, et c'est là que je le sens. Il est monté discrètement pourtant. Mais de la même manière que j'avais senti son regard la fois où j'étais hissée sur ma chaise de bureau pour couper la clim, je sais qu'il me regarde, je sais qu'il est là, et je souris en feignant ne pas m'en rendre compte. Je mets un temps avant de me tourner, et lever le menton quand nos regards se croisent.
VOUS LISEZ
Une nuit à Paris - Tome 1 [Terminé]
RomanceOn dit qu'une rencontre peut changer une vie. Il y a des inconnus que l'on connaît à peine, ceux qui vous disent un mot ou vous offrent un sourire. Il y a ceux qui vous accordent une minute, une demi-heure, et qui changent le cours de votre vie et v...