[ANNA]
Je n'ai pas voulu rester chez lui. Je crois que ça l'a surpris et que d'une certaine manière il avait imaginé qu'on passerait au moins la nuit ensemble – j'imagine que c'est ce qui se fait normalement, sauf que je n'ai pas voulu. Je ne me sentais pas bien. Quand je suis entrée chez moi, j'ai pris une longue douche froide, bu un grand verre d'eau, j'ai pris une aspirine pour que le réveil ne soit pas trop dur, et pourtant je suis quand même épuisée quand les portes de l'ascenseur s'ouvrent à huit heures et demie et que j'entre dans mon bureau. J'ai des cernes qui ne trompent personne, la pluie qui tombe dehors a fait légèrement onduler mes cheveux, et une envie grandissante de poser ma démission simplement pour ne pas avoir à croiser les yeux de mon patron. Il y a quelque chose de gênant à ça. Franchir la barrière du professionnel ne me plaît pas ; c'est d'autant plus tordu qu'on ne s'est adressé la parole qu'un très petit nombre de fois, ça se compte sur les doigts d'une main sûrement, et c'est pour ça que je souris de façon un peu crispée en passant devant son bureau.
— Bonjour Monsieur Hornec.
Les mots sont un peu froids, un peu distants. Ce qu'il s'est passé hier soir n'avait aucun sens et je n'aime pas perdre le contrôle ; alors je m'efforce d'être la plus professionnelle possible, y compris lorsque je reviens quelques minutes plus tard dans son bureau avec un manuscrit à la main.
— Je l'ai mis de côté pour vous. Je pense qu'il est excellent – à considérer en priorité, il se pourrait bien qu'il fasse beaucoup de ventes.
[ETHAN]
— Bonjour Anna.
Lorsqu'elle a passé la porte de mon bureau, mon regard s'est tout simplement d'abord dirigé vers son cou. On pourrait croire ce que l'on veut mais après une nuit d'amour, de désir, la peau du cou est censée garder des traces, un bref passage violacé ou même parfois bleuté. Une véritable galaxie. Et j'aurais pu trouver ça beau. Pourtant, aujourd'hui, je n'y trouve rien. Rien dans son cou, rien contre la peau de ses omoplates ni même contre sa mâchoire et je me demande même si son amant était bel et bien son amant. Qui n'aurait pas faim d'une femme comme Anna ? Qui ne voudrait pas y laisser traîner une portée de baisers, quitte à la marquer ? Et à cet instant, j'ai presque de la peine pour elle. Ses yeux semblent cernés, elle n'a visiblement pas beaucoup dormi et je me demande si elle va bien.
— De quoi parle-t-il ?
Et toi, Anna, parle-moi de ta soirée d'hier. Dis-moi s'il t'a prise comme tu l'aimes, dis-moi si tu as joui. Dis-le-moi, Anna.
Et j'en profite. Je profite qu'elle soit là pour continuer de la détailler alors que je me laisse tomber contre le dossier de ma chaise et que je lève une de mes jambes pour la poser sur l'autre, le regard presque noirci par ce que je ressens. Je croise mes bras contre mon torse et j'inspire lentement pour me contenir, ne pas me laisser aller à de simples envies et émotions. Surtout que la tension est palpable à cet instant, bien plus qu'hier.
[ANNA]
— C'est une histoire policière.
La plupart des gens aiment ça. Un thriller à couper le souffle que je me mets à lui raconter parce que je l'ai lu, survolé plutôt, mais que ma façon de lire en diagonale me permet toujours de retenir l'essentiel de l'histoire. Sauf que je n'ai pas l'impression qu'il m'écoute beaucoup : parfois son regard glisse, passe sur moi, et pourtant ce n'est pas comme hier dans le bar. Ce n'est pas grisé par l'alcool et le moment, par les brumes et les vapeurs d'ivresse, par la proximité d'un bar bondé. Ici c'est notre lieu de travail. Et je n'aime pas les hommes obsessionnels. Je n'aime pas qu'on me regarde comme un bout de chair – je n'aime pas ses regards, je les préférais hier, et je finis par froncer les sourcils et passer nerveusement mes bras contre ma poitrine dans un geste instinctif de protection et de défense.
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Une nuit à Paris - Tome 1 [Terminé]
RomanceOn dit qu'une rencontre peut changer une vie. Il y a des inconnus que l'on connaît à peine, ceux qui vous disent un mot ou vous offrent un sourire. Il y a ceux qui vous accordent une minute, une demi-heure, et qui changent le cours de votre vie et v...