Chapitre 14

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[ANNA]

Il y a toujours différentes manières de réagir à la déception. Je crois que chez la plupart des gens, c'est la colère. Toujours la colère quand l'égo est brisé, ou bien la haine, ou bien le silence. Chez moi c'est l'indifférence, qui n'est souvent que de façade mais que je maîtrise à la perfection : quand je lui réponds que je prendrai un taxi, on ne peut presque pas percevoir la tristesse que j'ai à l'intérieur. On ne voit rien. Je suis bonne actrice et moi aussi, je peux prétendre que ça ne comptait pas tellement. Si je suis la secrétaire que tu te tapes en voyage d'affaires, tu n'es jamais rien de plus que le patron avec qui j'ai couché un soir où j'en avais envie – c'est tout, ça marche dans un sens comme dans l'autre ces choses-là. Et quand on se débrouille bien on finit par croire à sa propre indifférence. De la même manière que les époux qui tuent leur femme puis cachent le corps se persuadent qu'ils vivent un drame et se lancent les premiers dans les battues, on croit à son propre détachement au bout d'un certain temps.

Moi il m'a fallu deux semaines. Après avoir vu défiler chacun des jours jusqu'à celui du Seigneur, je suis arrivée un matin au bureau en décrétant que c'était bon. Je peux passer à autre chose. Je peux même rencontrer du monde si je veux, je peux même mettre un peu de rouge à lèvres le matin sans que ce ne soit pour lui ; et aujourd'hui, les feuilles mortes se sont laissé recouvrir par un léger tapis de neige. Il y en a sous mes semelles et sur la laine de mon manteau noir que je retire quand j'arrive à mon étage, adressant un petit sourire à Ethan lorsque je viens déposer un gobelet de café noir sur son bureau.

— Je suis venue une heure plus tôt ce matin pour pouvoir partir une heure plus tôt ce soir. Si vous êtes d'accord.

Ce soir j'ai un dîner. Je ne veux pas être en retard.


[ETHAN]

Et il faut croire qu'Anna a fini par oublier. Après tout, je ne lui en veux pas. C'est moi qui l'ai forcé à passer outre notre soirée. C'est moi qui l'ai complètement ignoré. Qui a agi comme le pire des connards.

La colère semble s'être dissipée pour faire face à l'indifférence et je pourrais parier qu'à présent, elle se fiche de tout. Absolument tout. Elle est même davantage maquillée que d'habitude, son rouge à lèvres semble être un peu mieux appliqué et je me demande pour qui elle fait tous ces efforts, aujourd'hui.

Et, je dois bien avouer que, lorsque j'y pense, ma poitrine se serre. Pourtant, je suis incapable de déchiffrer cette sensation. J'aurais tendance à penser que c'est une part d'anxiété mais quelque chose d'autre me bouleverse, sans que je ne sache vraiment mettre la main dessus. Et en toute honnêteté, je préfère ne pas mettre la main dessus.

Attablé depuis maintenant une heure, j'arpente du regard mes mails les plus importants, ceux que je ne peux pas manquer et, en entendant Anna, je ne peux m'empêcher de lever un sourcil. Partir une heure plus tôt ? Et pour quoi faire, au juste ?

— Vous auriez dû me prévenir avant...

Et c'est un reproche. Un reproche qui se veut lourd de sens l'air de dire – et tu comptes faire quoi, uh ?

Je soupire faiblement en me frottant les sourcils une seconde de mes pouces. Lasse. Je suis lassé, depuis que nous sommes revenus de Paris. Pourtant, j'essaie de garder la face. Montrer que je suis plus fort qu'une simple... attirance physique. Qu'une simple tension qui me bouleverse à chaque fois que je la vois passer cette fichue porte de bureau.

Alors, je relève la tête vers elle. Tant pis.

— C'est d'accord.

Tant pis, je ferais sans elle. Après tout, Anna m'est peut-être devenue indispensable mais ai-je vraiment le choix, étant donné qu'elle me prend presque en grippe, à cet instant ? Elle est venue une heure plus tôt donc elle respecte parfaitement ses horaires. Je ne peux pas vraiment la bloquer, ce soir, même si l'envie me chatouille l'esprit.


Une nuit à Paris - Tome 1 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant