Chapitre 4

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Combien de Sorcières sont restées à attendre à côté des tombes de leurs enfants, espérant qu'ils se relèvent ? Combien de jours avant que l'espoir ne disparaisse ? Quel degré de désespoir pour souhaiter voir la chair de sa chair traverser le Tabou ? Dans ces conditions, n'était-il pas plus aisé de haïr et de mépriser plutôt que de se laisser à aimer ?

La porte s'ouvrit sur un homme sorti d'un autre siècle. Un majordome revêtu d'un élégant costume noir assorti à sa fonction.

- Madame Schwartzen ? lui demanda-t-il poliment.

- Oui.

- Nous vous attendions.

Il s'effaça pour la laisser entrer.

Un hall marbré de blanc et un escalier au fond à droite partait à l'étage.

Le majordome la conduisit dans les profondeurs de la maison. Elle lui semblait froide, presque inhabitée.

- Tout le clan réside-t-il sur place ? s'enquit Yuzu auprès de son guide.

- Je crains que non, Madame. Le clan Miller possède une résidence dans les terres. Les membres du clan logent ici seulement lorsqu'ils ont des affaires à traiter en ville.

Dans les terres. Yuzu jeta un coup d'œil prudent à son interlocuteur. La gargouille était vieille et son alliance avec un clan de sorcières peu surprenante. Les Sans Ailes se mêlaient à la population sorcière bien plus aisément que les Célestes. Pour les moins puissants d'entre eux, c'était une manière de s'assurer une position dans un environnement stable : les sorcières mortes étaient aussi immortelles.

Le son de leurs pas se réverbérait contre les murs immaculés.

Yuzu n'était pas surprise de ne pas être introduite dans la demeure principale du clan. Cela aurait été imprudent de la part d'une Shawilum aussi expérimentée qu'Aheela.

L'enfilade de portes closes n'en finissait pas. Finalement ils arrivèrent devant une porte entrouverte. Le majordome - dont Yuzu ignorait toujours le nom - la lui ouvrit et lui fit signe d'entrer. Une mise en bouche très politique donc.

Yuzu pénétra dans la pièce d'un pas lent. Une grande baie vitrée donnait sur un jardin qui tenait plus du parc, un immense peuplier ombrageait la pelouse soigneusement entretenue. Des violettes étaient plantées en jardinières.

Dans la pièce se trouvaient un homme et une femme. L'homme était assis dans un fauteuil en simili-cuir blanc, en face d'une étagère remplie de livres et d'un bureau. La femme était debout, contemplant les livres.

Le père de Jessica, Wolfang Miller et une des Mar Bani, probablement Jacinda, la première des Mar Bani du clan, songea Yuzu.

Wolfang était nerveux. Très nerveux. Il faut dire que dans la pièce, il était le seul à ne pas être un vrai sorcier. Depuis quelques milliers d'années et la parution du Mundi Circularii, les sorcières avaient trouvé le moyen de donner à leurs descendances un certain accès à leur magie - quoi que cet accès restait limité. Les parrii comme on les appelait n'étaient pas immortels contrairement aux veratii et n'avaient pas subi l'épreuve qui vous conduisait à devenir une sorcière, une vraie sorcière. Les parrii étaient aussi de moindre puissance mais ce n'était pas là leur valeur pour le clan. Coincé entre une des plus hautes dignitaires du Magisterium et une des Mar Bani - ces sorcières choisies parmi les plus puissantes du clan pour assurer sa protection et sa garde - ce parrii avait de quoi être nerveux.

Le Rouge de la MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant