Il s'agit tout d'abord d'un éclat fugace au coin de l'œil. Puis la vision prend lentement forme devant soi. Elle prend de la place également dans notre univers mental. Elle grandit, se développe et se déploie. Une vision peut sembler sans consistance aucune mais elle n'en reste pas moins réelle sur un plan de réalité différent. Partager une vision, c'est accepter de se rejoindre tout en étant à une distance considérable l'un de l'autre.
La migraine la poursuivait depuis deux heures maintenant.
C'était une douleur lente, à vous broyer le crâne sous un étau. Dans une vaine tentative pour soulager un peu la douleur, Yuzu posa sa tête contre la porte d'un placard de la cuisine de son appartement de fonction au Magisterium. La porte était fraîche mais cela ne changea pas grand-chose à son mal de crâne persistant. Elle prit un verre d'eau, but une gorgée puis marcha vers sa chambre. La pièce baignait dans la pénombre et Yuzu se glissa entre les draps en grognant. Sa tête tomba sur l'oreiller et elle ferma les yeux, espérant parvenir à dormir malgré tout. Après la séance au Consiliarerum, elle en avait plus que besoin.
Une voix lancinante s'éleva alors dans le noir. Yuzu se sentit froncer les sourcils à ce son qui lui écorchait les oreilles. Ce n'était pas vraiment la voix mais plus la qualité de l'enregistrement qui grésillait terriblement. La voix féminine persistait pourtant à chanter 'la vie en rose' sur un ton éraillé. Yuzu s'agita. Elle sentait que quelque chose n'allait pas. Son corps lui paraissait flotter entre deux eaux, une sensation intimement familière. Une vision. Un claquement de mains retentit.
- Bravo. Vous êtes rapide.
Yuzu comprit alors ce qui se passait. Privée de choix, elle força son corps physique à se détendre et à plonger vraiment dans le sommeil. Alors qu'elle lâchait prise sur la réalité, elle sentit son esprit descendre, encore et encore, comme le long d'un interminable escalier en colimaçon, qui tourne sur lui-même à l'infini ...
- Outch ! Vous allez me donner le tournis ! Arrêtez cela nom d'une pâquerette !
Ses pieds touchèrent enfin quelque chose de moelleux. Probablement une moquette. Yuzu consentit enfin à ouvrir les yeux pour hausser un sourcil devant le décor choisi par son visiteur nocturne. Son esprit se trouvait dans une pièce ronde, dont les murs étaient molletonnés avec du damas rouge. Un feu crépitait dans la cheminée sur sa droite et deux fauteuils - d'un rouge bordeaux cette fois-ci - avec de grands dossiers attendaient qu'on y prenne place. Pas de fenêtre mais des rideaux en satin doré pour égayer un peu les murs et quelques tableaux avec des personnages ayant triste mine. Un vieux tourne-disque posé sur une petite table basse et qui diffusait 'la vie en rose' d'Edith Piaf complétait l'insolite situation.
- C'est... agressif, fit remarquer Yuzu.
Son interlocuteur ne s'embarrassa pas à lui répondre, trop occupé à la dévisager de haut en bas. Il faut dire qu'elle portait en tout et pour tout un vieux tee-shirt noir délavé dont une des manches pendait sur son épaule et un legging gris qui s'arrêtait en dessous de son genoux.
- Je vous imaginais autrement, avoua l'homme.
- Il fait nuit. Les gens dorment la nuit, répliqua Yuzu sur le ton du reproche.
Ce fut son tour d'examiner l'inconnu qui venait de troubler les quelques heures de sommeil qu'elle était parvenue à grappiller. Il était plutôt grand et vêtu décemment contrairement à elle. Un pantalon en lin couleur sable et une chemise bleu pâle. Des cheveux blond vénitien, soigneusement lissés et peignés en arrière à l'exception d'une mèche qui tombait négligemment devant des yeux bleu ciel. Une mâchoire ferme couronnée d'un sourire avec des fossettes. Et détail supplémentaire : des boutons de manchettes argentés. L'accessoire, plutôt désuet, tranchait avec le reste de la tenue et même de la pose, résolument adaptées au monde moderne. Cet homme avait du charisme, pensa immédiatement Yuzu. Beaucoup de charisme. Et sans doute un peu trop foi en sa capacité à séduire les gens pour penser à déranger la Gardienne des Savoirs en toute impunité, même à travers ses visions.
VOUS LISEZ
Le Rouge de la Mort
FantasySorreitheia, Terre. Dans le Double Monde, Célestes, Sorcières et humains cohabitent autant qu'ils le peuvent jusqu'à ce qu'un meurtre menace de briser ce fragile équilibre. La ville de Sorreitheia est le fief d'un Céleste puissant et redouté mais...