Chapitre 11

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Les Célestes ne sont pas un peuple, à peine une espèce. C'est un miracle en soi qu'ils ne se soient jamais fait la guerre. Ce qui les unit réside en un seul mot : la religion.

Les notes de piano envahissaient la pièce, l'emplissant d'une ambiance feutrée quoiqu'un peu mélancolique.

Une ombre se dessinait contre les nuages gris du ciel pluvieux. Elle écoutait la musique, les yeux fermés, abîmée dans le calme. Elle ouvrit doucement les yeux pour contempler l'énorme trou qui se dessinait au-dessus d'elle, sorte de tourbillon donnant sur un autre part. L'autre part des Célestes. Le Ciel.

Les humains ne pouvaient voir ces gigantesques portes qu'à de rares occasions. Une porte vers l'Enfer ou vers le Paradis ? Ils n'avaient jamais su trancher, à l'image de leurs mythes sur les Célestes qui les dépeignaient tour à tour comme des monstres ou des sauveurs.

La pluie tombait en un rideau presque continu et, à travers les gouttes, laissait transparaître une ville Céleste, reflet fantomatique de Sorreitheia qui se tenait juste au-dessus de la ville humaine.

La silhouette prit une grande inspiration alors que les notes s'accéléraient, souhaitant emporter son auditeur vers un autre monde, lui murmurant de se laisser aller dans la musique.

Mais l'homme était déjà sorti du charme, son regard errant entre le Ciel et la Terre sous ses pieds, scrutant les anges qui jouaient sous l'averse, les humains qui couraient pour se mettre à l'abri, le grondement d'une cité qui ne s'arrête jamais. Et tout autour, l'Océan, tumultueux, ses couleurs grisâtres reflétant l'humeur tempétueuse des nuages. Sorreitheia se dévoilait sous ses yeux, comme une tour immense dressée vers le ciel, avec des rues sinueuses qui partaient des Abîmes, de ses canaux étroits, ses petits ponts et ses arches qui s'agrandissaient au fur et à mesure que l'on s'approchait des Hauteurs. Des constructions disparates, entre maisons, gratte-ciels ou tours d'un autre temps. Au sommet de cette immense montagne en pleine mer, une forêt dense s'étalait, protégeant les derniers secrets que souhaitaient conserver les Célestes ici.

Des millions et des millions d'années auparavant, Célestes et Humains foulaient le même sol, nageant dans les mêmes mers d'eau salée. Le ciel n'était pas encore peuplé de ces étranges villes, présentes sans l'être réellement dans cette réalité. Un Être avait changé cela. Un Être avait changé la face du monde.

Dual Sha Sharri. La Petite Déesse aux Ailes Miraculeuses.

Aujourd'hui encore le monde tournait selon les règles que cet Être avait établies, si longtemps auparavant que les humains et même les Sorcières l'avaient oublié. Les Célestes, eux, n'oubliaient pas. Certaines choses valent la peine qu'on se souvienne d'elles.

L'homme poussa un profond soupir et se détourna de la vitre devant laquelle il était posté. Il contempla un instant le tableau d'un autre âge accroché au mur. La femme du tableau lui rendit son regard, son sourire amusé figé dans le temps, ses yeux insondables mais déterminés.

Certaines choses valent la peine qu'on se rappelle d'elles. C'était un conseil que la Reine Mélainaka avait négligé ces derniers temps et qu'il ferait bien de le lui rappeler.

Les Célestes vouaient depuis la Séparation et la naissance du Double Monde un culte à la Petite Déesse qui les avait sauvés, accueillis, protégés et par-dessus tout aimés comme son propre peuple. Petit à petit, une institution avait émergé, gardienne de ce culte sacré. Le Temple n'aimait pas les Sorcières qu'il jugeait hérétiques. Elles vénéraient une déesse et pratiquaient un culte hérités d'un obscur peuple d'avant la Séparation. Durant les Guerres Magiques que les Sorcières appelaient les Terribles Guerres, les pertes Célestes avaient été considérables. Elles avaient menacé l'héritage de la Petite Déesse. Elles n'avaient pas, aux yeux des prêtres les plus radicaux, leur place dans le monde légué par elle.

Le Rouge de la MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant