Chapitre 15

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Les Célestes vivent aussi longtemps qu'il leur est possible de vivre sans tomber sous les coups d'un ennemi ou de succomber à leur propre folie. Leurs enfants se développent lentement et leur population reste stable. Sans les Sans-Ailes et leurs relations avec les humains, ce peuple serait tout simplement figé dans l'ambre, quasiment incapable d'évoluer. Non pas que cela atténue la puissance de leurs émotions lorsque de grands bouleversements surgissent.

Le silence était pesant, la nuit gardant précieusement les secrets que quelques âmes perdues osaient lui confier. Le noir devenait le refuge de ceux qui n'avaient plus rien à perdre à la lumière du jour.

C'était le cas de Yuzu, silhouette solitaire toute de noir vêtue.

Mais c'était également le cas du propriétaire de la maison qui se dressait en face d'elle. Une maison avec un cachet certain, au bout de son chemin de terre qui la plaçait en recul des autres habitations de la petite bourgade perdue où elle se trouvait.

Nous étions loin de Sorreitheia, dans une petite ville du nord-est des États-Unis. Mais la distance n'avait jamais été réellement un obstacle pour Yuzu contrairement à ce qu'avait sous-entendu Kendricks lorsqu'il lui avait donné l'adresse ce matin. Elle n'avait pas non plus de multiples autorisations et demandes de coopération à faire avec d'autres juridictions administratives et policières pour se rendre sur place, à l'inverse de ce cher inspecteur.

À présent, elle observait calmement la bâtisse.

Elle avait rapidement traversé la bourgade en arrivant mais ne s'était pas attardée. Le crépuscule tombait. Pénétrer par intrusion dans la maison d'un sorcier n'était pas une judicieuse idée mais la nuit, cela s'avérait encore plus risqué. De nuit, on posait des sorts plus puissants, gardiens de notre sommeil. Qui sait ce que Matelson avait laissé pour protéger ses secrets à lui ?

Cela, Yuzu était justement en train de l'étudier. Et ce qu'elle voyait ne lui plaisait guère. L'enchevêtrement de sorts formait une toile d'araignée complexe autour de la maison et même pour une personne qui voyait l'Éther, il devenait difficile de suivre les fils de magie. Leur âge pesait aussi sur les os de Yuzu. Matelson avait décidément fort bien employé ses plusieurs siècles d'existence et la maison avait dû être reconstruite plusieurs fois pour masquer son âge.

La Gardienne des Savoirs se décida enfin à entrer. Elle ne pouvait prendre le risque de défaire tous les sorts, ayant repéré quelques alarmes magiques vicieuses qui avertiraient leur propriétaire dès que des sorts seraient défaits ou brisés. De plus, en l'état actuel des choses, cela lui prendrait tout simplement trop de temps.

Elle franchit le portail à pas lent. Sa respiration était lente et mesurée mais ses doigts s'agitaient délicatement pour lancer le sort qui lui permettrait de passer de manière indétectable au milieu de tous les pièges.

Concentre-toi. Et respire bien profondément. Une sorcière qui contrôle sa respiration et donc son corps et ses émotions est une sorcière à moitié accomplie. La puissance vient du ventre.

La magie est souvent comparée à une musique, une chanson que l'on récite ou pour les plus douées, que l'on invente sur l'impulsion d'un moment. Une comparaison que Yuzu avait toujours affectionnée car la musique était autant inspiration et impulsivité que contrôle et souplesse. Alors elle laissa son sort épouser les courbes vacillantes sous la lumière de la lune, des sortilèges de protection, et elle-même se fondit et devint autre chose l'espace d'un bref instant.

Impulsivité et inspiration pour suivre les sorts.

Contrôle et souplesse pour sa magie.

Ça y est.

Le Rouge de la MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant