Chapitre 10

48 9 16
                                    

Les Portes sont vitales au Double Monde. La première chose que fait un représentant après sa consécration, n'est-ce pas d'ouvrir sa Porte majeure pour assurer la stabilité du Ciel ? Sans elles, le Ciel s'effondrerait sur la Terre et le chaos régnerait.

Après son bain de foule forcé, Yuzu était heureuse de retrouver le calme des rues pavillonnaires. Elle marchait d'un pas rapide, ayant souhaité s'éloigner le plus rapidement possible du bruit et des lumières. Les maisons se ressemblaient toutes ici, le genre de quartier où, selon les séries américaines, tout se sait et vos voisins sont probablement des tueurs en série cachés. Cette pensée la fit sourire. Elle arriva enfin devant une maison - identique aux deux qui l'encadraient. Un jardin peu entretenu et un vélo qui avait vu passer de meilleurs jours lui servaient de parure avec comme ornement principal, le panneau indiquant « À LOUER ».

La maison appartenait aux services de la Bibliothèque. Elle permettait de loger discrètement certains de leurs membres et la location servait surtout à ne pas attirer l'attention sur les allées et venues. Les voisins en avaient l'habitude maintenant et même si certains d'entre eux soupçonnaient parfois que des squatteurs y avaient pris leurs quartiers, ils ne se donnaient même plus la peine de prévenir la police. Avec les couches de protection magique soigneusement tissées autour et ses antécédents, la maison représentait une cachette tout à fait décente pour Jessica le temps que les choses se tassent.

Yuzu s'engagea dans l'allée pavée de pierres salies par la poussière et les multiples passages. Elle sortit un trousseau de clés d'une des poches de son long manteau noir qui ne semblait jamais la quitter lors de ses expéditions nocturnes. Elle déverrouilla la porte et monta directement à l'étage. Elle avait repéré la présence de six Inquisiteurs dans la maison et ses alentours. Ils l'avaient réellement prise pour une idiote. Elle avait suivi la même formation qu'eux. À quoi pensaient-ils ?

Chassant ses pensées avant de trop s'énerver, Yuzu sortit délicatement la petite bouteille en verre d'une autre poche. Elle ouvrit avec précaution le bouchon et le laissa flotter dans les airs. Mettant sa paume de main à plat et positionnant la bouteille bien droite en son centre, elle ferma les yeux et souffla dessus. De sa main s'échappa lentement un cercle vert doté de runes sur tout son pourtour. Il s'élargissait, encore et encore jusqu'à atteindre une taille respectable. Yuzu rouvrit les yeux, satisfaite. Le cercle rétrécit alors brutalement, et fit le chemin inverse jusqu'à s'étaler à présent sur la bouteille plutôt que dans les airs. Celle-ci disparut progressivement et Jessica apparut, flottant dans les airs, endormie. Yuzu leva alors la main droite et la referma dans les airs. Elle ouvrit sa paume et sourit en voyant la bouteille à nouveau présente sur ce pan de réalité. Elle repositionna le bouchon, remit le tout dans sa poche et fit un geste de la main gauche. Le corps de Jessica se déplaça docilement vers le lit. Une fois qu'elle fut bien installée, Yuzu rabattit la couette sur la jeune femme et d'un claquement de doigts, ferma également les rideaux de la chambre. Elle repartit enfin sans faire un bruit, renfermant la porte derrière elle.

Yuzu descendit les marches des escaliers, songeuse. Elle choisit de bifurquer vers la cuisine pour retrouver l'homme qui l'avait prévenu de la fuite de Jessica. Valentin était grand, carré d'épaules et les cheveux coupés à ras. Le second de Nathanael avait les bras croisés, son corps appuyé contre la table de la cuisine, les lèvres pincées. Il s'attendait presque à se faire ignorer par la Gardienne des Savoirs. On hésitait souvent à dire si elle avait mauvais caractère ou si c'était de l'arrogance. Valentin pensait que c'était un peu des deux et ne s'était jamais gêné pour lui faire comprendre ce qu'il en pensait. Aux yeux de Valentin, la Gardienne n'avait qu'un seul mérite : elle se salissait les mains, et souvent qui plus est. Elle ne laissait pas les basses besognes à ses nombreux subordonnés, pas toutes du moins.

Le Rouge de la MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant