Chapitre 25 : Papier soleil

19 2 0
                                    

Cette carte. Un bout de papier, jauni par l'air lourd de l'atmosphère apocalyptique. Le soleil aurait voulu percer ces nuages de dépression épais, mais il était coincé dans un orage qui n'éclatait pas. Ceci expliquait la couleur de rayons. Couleur enfermée dans ce carré blanc. 

Damien puni,

Damier uni,

Papier jauni.


Dans la tête de Thomas : 

Damien voulait que je lise son écrit au sommet du grand'pin . C'était une évidence. Caché sous le drap d'épines douces, j'ouvris l'enveloppe, les mains tremblantes. Mon coeur semblait chercher de bas en haut les raisons de cette perturbation envers un homme sans pitié. Je déchirai d'un coup le rebord, créant des confettis de papier jaunâtre sur le vert profond de l'arbre. Je respirais avec impatience, mes doigts trépignant sur la lettre tant attendue. Je m'adossai confortablement sur le tronc du pin, et savourai encore cet instant, tant qu'il était encore rempli de mystère. Comment réagirais-je si ce mot n'était là que pour me sermonner, ou pire, pour me condamner à mort ? Cet... Cet homme en serait bien capable. La lettre glissa entre mon index, puis elle s'ouvrit. Une encre sombre, encore fraîche, dessinait avec arabesque les mots du Détenteur de Jasmin. 

<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<

Monsieur Itturalde,

Durant une semaine entière, j'ai eu le temps de regretter chacune des égratinures que je vous ai infligées ce fameux soir. Pour chaque cicatrice, j'exerçai chaque nuit une prière secrète, unique, espérant que mes remords les répareraient. J'espère ne pas vous offenser en vous avouant  que je m'inquiète pour vous. 

J'ai réfléchi . J'ai réfléchi jusqu'à ce que les toutes connexions de mon crâne se rassemblent, pour guider humblement ma plume. Je daigne enfin user de l'écriture -la plus sensée j'espère-d'une lettre à votre égard. Sans doute ne mériterai-je jamais votre lecture. Et pourtant j'ose vous présenter par des mots mon dernier espoir de salut.

Ne vous inquiètez plus, je ne mettrai plus de poursuivants à votre recherche. Ils ne vous méritent pas. Je ne vous embêterai plus. Vous étudiant depuis un bon moment, je crois pouvoir affirmer sans me tromper que vous êtes l'incarnation-même de la liberté. Vous n'êtes pas fait pour être attrapé, ni fait pour être tué. Pourquoi trancher une fleur qui ne cessera de pousser par millions, logées dans les esprits de gens généreux ? On ne peut pas trancher la liberté. C'est pourquoi je serais bien incapable de trancher votre gorge, gorge toujours prête à prendre la voix des innocents. J'en serais incapable pour la simple et bonne raison que mon for intérieur ne désire que vous suivre. Il est impossible d'accepter quelconques de mes excuses, j'ose pourtant en appeler à votre générosité infinie : j'aimerais que vous puissiez me croire à propos d'une souffrance vécue.

 Après notre combat sur les hauts-toits, le démon qui se nourissait de mon désespoir s'est enfin arraché de mes poumons. Il me paralysait chaque jour un peu plus et gravait dans les parois de mon corps ces idées, toutes plus inhumaines les unes que les autres. J'ai l'impression que ce n'était jamais le vrai moi qui exécutait mes gestes, mes paroles. J'étais une marionnette qui se voilait la face. J'ai laissé le pourri étouffer le naturel, comme un enfant privé d'innocence. Comment ai-je pu être aussi aveuglé, par cette fumée environnante que j'ai moi-même insufflée à cette planète ? 

J'ai remarqué que vous faisiez partie du décor de toutes mes pensées, de mon monde intérieur. Et ce depuis la première fois que nous nous sommes vus. Je ne puis même pas vous rappeler quel jour était-ce, car je pensais en vous découvrant que je vous avais toujours connu. Inutile de préciser alors, que si je dis que je ne "vous embêterai plus", entendez aussi que je n'embêterai plus " mon monde entier". Pour la simple et bonne raison que votre énergie repeint mon regard, je ne puis maintenant voir le monde qu'avec vos yeux. Non, Monsieur Itturalde, pour la première fois dans ma piètre vie, je ne mens pas. Je n'embêterai plus personne. Oubliez-moi. Faîtes-leur oublier à quel point j'ai détruit leur espoir, et aidez-les à en bâtir de nouveaux. Et de mille couleurs, je vous en supplie : ils ont assez souffert du noir et de l'orage, du soir et du naufrage, offrez-leur l'espoir dans le sauvage, pour voir au-dessus des nuages. 

J'aurais voulu mourir des centaines de fois pour les pleurs de mes victimes. Je ne suis définitivement pas un héros. Je ne suis même pas un bon ennemi. Si j'avoue que je ne suis digne de rien ni personne, je n'implore pas votre pitié, sachez-le. Je veux juste avoir une marque-hémoglobine évitée dans ce vilain coeur, en me confiant à vous avec une sincérité que je pensais avoir égaré. Vous aviez raison. Vous avez raison sur tout. Vous êtes aux ordres de votre coeur, je ne l'étais que pour la rancoeur. 

Ne perdez jamais de vue le chemin de votre coeur, Monsieur Itturalde. Vous êtes le seul qui n'ai pas encore viré à la folie, le seul être vivant sentant vibrer l'humanisme. Si vous ne suivez pas votre coeur pour moi, suivez-le au moins pour tous ces gens devenus cadavres par le manque d'amour. Je vous en conjure. Vous avez réussi à devenir l'espoir d'un tyran inhumain. Vous pourrez incarner celui de milliards de coeurs honnêtes. Soufflez votre musique aux quatres coins de la planète. Le vent vous aidera. Quoique, vous n'avez sans doute pas besoin d'éléments extérieurs pour planer bien au-dessus de l'inquiétude. Vous planez. Vous nous faîtes pousser des ailes. Oui , c'est exact. J'étais le Détenteur de Jasmin et vous êtes le Pousseur D'Ailes. On pourrait croire le nom de deux personnages liés par un enfer commun. Je sais pourtant que le seul enfer qui puisse exister, c'est celui que j'ai créé. C'est pourquoi je quitte cette planète, je quitte ces lieux. Pour le pire mais pour votre meilleur. 

J'aurais aimé rencontrer l'ébène de vos pupilles plus tôt. Peut-être aurais-je pu ainsi ajouter à mon univers sombre vos propres touches d'étincelles. Soyez conscient de la puissance de votre étincelle.

Je compte me coucher pour la dernière fois avec le soleil, au pied du conflit.

J'ai pu communiquer avec un Pousseur D'Aile avant mon sommeil. Je pars sereinement.


Faîtes fleurir votre monde.


Votre dévoué,

Damien.

>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>


Damien.


Mes yeux étaient teintés de rosée mélancolique.


C'était injuste. Quel lâche... Me voler mes sentiments ainsi. J'étais pris au dépourvu... 

J'avais tellement de ruisseaux qui désiraient quitter la surface de mon oeil, pour explorer mes joues tremblantes... Que ma vue était troublée anormalement. Mes yeux étaient trop mouillés. Je ne pouvais pas être sûr des mots qui venaient d'épouser mon regard. Cette fin cassante, annoncée en douceur... Je ne croyais pas ce que je venais de lire. Mes paupières claquèrent les portes pour évacuer les ruisseaux. Et la houle s'envola sur mon visage pluvieux. Une décharge électrique dans mon coeur sembla disjoncter en mon intérieur, comme affolée par le contact de l'eau sur ses fils électroniques. 


Damien.


Il voulait se coucher pour la dernière fois.

Et sans moi.


Il allait me laisser tout seul.


Je sautai de l'arbre, mes larmes encore en suspension en l'air. Et mes jambes se mirent à trouver leur raison d'exister, en suivant le rythme du désespoir que je leur imposais. La lettre contre mon coeur, je courus vers le soleil. 

J'avais trop peur qu'il se couche tout de suite. 

J'avais trop peur que Damien ne s'endorme trop tôt. 

J'avais trop peur d'arriver trop tard.

{ Terraink } - Notre Conquête IntemporelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant