Chapitre 26 : Envolons-nous

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Il l'avait fait.

J'arrivais enfin, haletant, au sommet de l'immeuble où deux coeurs s'étaient arrachés pour mieux rebattre ensemble, plus ou moins de force. Comme une obligation. Comme un besoin. Oxygène devenu douloureux à force de respirer le même. Mais choisit-on vraiment nos besoins vitaux ? Je crois ne jamais avoir eu le privilège de décider. Et c'est peut être mieux ainsi. Les larmes skiant sur mes joues gelées par l'effort pour conquérir la mort, j'observai le soleil en face de moi, pour me réchauffer. 

Le corps de Damien était là. Sur le sol. Ses cheveux trempés par la rosée du soir scintillaient, allumés par la flamme de l'étoile fumante. Il était si beau. Beau... Le mot était faible, comme moi sans lui. Non. Il était magnifique. Angélique. Presque inatteignable. J'avais eu le privilège de passer plus de la moitié de ma vie à admirer cette oeuvre d'art céleste. Je ne pleurais pas pour lui, non. Son temps n'était pas venu. Je le savais. Sinon, je serais parti avec lui. Telle était la malédiction. N'importe où, mais ensemble. Nos âmes. Nos coeurs. Ensemble.

Une chaise iréelle était posée là, près du coin. La chaise du spectateur avait été bien placée. Il pouvait observer à son aise à la fois l'oeuvre et l'artiste de ce tableau romanesque. L'artiste était Damien, couché face contre terre, la respiration invisible. Il était paisible comme un enfant. Les deux diamants cachés sous les paupières avaient désormais besoin d'une clef pour s'ouvrir. J'avais hâte d'être celui qui ouvrirait le coffre aux trésors. L'artiste dormait sur le sol du violent. L'oeuvre était l'ensemble de l'artiste couché et de sa fidélité pendant toutes ces années. Je voulais kidnapper ce tableau, l'enfermer dans mes souvenirs, et le garder pour mon coeur piqué au vif. 

Le haut balcon offrait maintenant une vue plongeante sur ce soleil et ses milliards de particules de toutes le couleurs, faisant éclore de nouveaux horizons, de nouvelles passions sur cette ville perdue. Le dernier dictateur était mort. Non pas par le peuple. Non pas par le suicide. Mais par la lassitude de vivre sans amour. C'était poétique jusqu'au point de consumer les pulsions meurtrières. Tout était presque mort. Mais tant qu'une petite part de vous-même, même au bout du monde, même au bout du temps, vous entend sans que vous n'ayez à dire un mot... Il reste un germe de folie. De folie de pouvoir tout reconstruire. J'ai vécu plusieurs vies, je peux l'affirmer : on peut reconstruire sa vie. La maison de votre enfance n'est jamais bien loin. Il faut juste se rappeler de la musique des petits plaisirs. Ces petits plaisirs m'ont motivé.

Une mélodie inaudible tissa son fil, du coeur inerte de Damien jusqu'à mes oreilles aux aguets :

Envolons-nous.

Marie-toi avec l'air

J'épouserai la mer

Tarissons la terre

Nous repousserons l'éclair

Mais en soit

Les éléments en valent-ils la peine ?

Emballe mes joues

Chéris ma chair,

Et douce serait la vie amère

Pariée avec ta passion, mon compère.

Mais sans toi

Ma peau aimante est pâle, elle se démène.

Je t'aime encore, je t'aime plus fort

Je m'arracherai les ailes de jour,

Te les donnerais à tort jusqu'à ta mort,

Te ferai d'abord t'envoler d'amour.

Pendant ces derniers beaux jours

Sentant les cendriers alentours,

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