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(Alex)

L’espoir de dormir un peu s'est éteint très vite. Même si j’avais réussi à dégager quelques courts moments pour appeler Jérôme ces derniers mois, il me semblait évident qu'il avait beaucoup de choses à me dire. Les deux tasses de café avalées m'avaient reboosté. Cette nuit blanche était très loin d’être la première, je m'offrirai tout à l’heure une petite sieste dans ma chambre et le tour serait joué. 

L’explication donnée pour justifier mon arrivée très matinale semble avoir suffi à Jérôme. Il n’était pas dans mes habitudes de mentir et encore moins à lui. Pourtant, j’avais volontairement occulté tout ce qui s'était passé sur ce parking. Toute une partie de mon cerveau s’ insurgeait à  propos de ce mensonge. L’autre partie qui, a priori, avait pris le contrôle s’ en moquait royalement. Pendant que Jérôme me noyait sous des flots de paroles, je pensais que face à Vincent, j’allais devoir être beaucoup plus malin. Le mari de mon oncle avait un regard beaucoup plus aiguisé.

Celui-ci franchit la porte à grand bruit, et afin de ne pas perdre le contrôle, ma main s’ accroche à la table juste devant moi. Pourquoi le gars d'hier se trouve à côté de Vincent ?

— Ne crie pas, je t’expliquerai plus tard, explique Vincent à mon oncle qui fait une horrible grimace. Tu peux seulement  regarder si des points sont nécessaires, s'il te plaît mon cœur. Alex, permets-moi de te présenter Valéry.

J’essaye de rester stoïque alors que j’ai la sensation que la partie inférieure de ma mâchoire tombe comme dans un dessin animé. Si je m'écoutais, je prendrais mes jambes à mon cou. J'ai embrassé “ le” Valéry.

—Ah mais c’est vrai, remarque Jérôme. Vous ne vous êtes jamais croisés, tous les deux. Ne te fie surtout pas aux apparences, Alex, c’est quand même exceptionnel qu'il soit dans un tel état. Suis-moi, Valery. Et ne te crois pas sauvé pour autant. J’attends  les explications de Vincent pour statuer sur ton sort.

Ils disparaissent tous les deux vers la salle de bain, et je réalise que je n’ai pas plus que Valéry, dit un mot.

— Il n’en mène pas large, le bougre mais je m’en moque royalement,  commente Vincent. Jérôme t-a-t-il laissé la possibilité de te reposer ?

— Pas vraiment mais c’est de ma faute. Rester éloigné de vous si longtemps a créé chez lui un manque. Je dois apprendre à faire des breaks. Il me semble que son  visage est fatigué ou alors c'est dû au fait que je ne l’ai pas vu depuis un moment ?

— C’est hélas la réalité. J’ai dû remplacer un certain nombre de fois ma sœur, le laissant gérer le foyer seul. Venir te perdre un peu dans la campagne un week- end nous ferait plaisir. C’est à peine à deux heures de train, tu pourrais travailler dans ta chambre, nous avons une bonne connexion maintenant.

Mon esprit part immédiatement vers d’autres possibilités de sorties et je le bloque.

—Ce sourire cache-t-il une information ?

— Je m'imaginais travailler ici…

— Et cela te plaisait ? insiste-t-il, ironique.

— Combien de temps résisterait Jérôme avant de venir frapper à la porte, d’après toi ?

— Une heure ?

Nous nous esclaffons comme des sales gosses au moment où Jérôme et Valéry reviennent dans la pièce. Celui-ci arbore une arcade garnie d'un strip.

— Et si nous prenions un apéro pour arroser votre rencontre, propose mon oncle.

— Bonne idée, mon coeur mais un petit parce que je pense que nos deux invités ont peut-être déjà abusé ces derniers temps.

Ni Valéry ni moi ne réagissons ce qui peut ressembler à un aveu. Me concernant, je reste en général très sobre en soirée. Et lors de notre baiser enflammé, aucune vapeur alcoolisée ne m'a troublé chez lui.

—N’y vois aucune offense, Alex mais il me reste pas mal de travail à abattre si je veux me coucher à une heure raisonnable. Tu restes quelques jours, je suppose, dit-il en s’ adressant visiblement à moi.

—Jusqu’en milieu de semaine, peut-être au delà, je ne sais pas encore.

—Veux-tu un peu d’aide ? propose immédiatement Vincent.

— Je vais réussir à m’en sortir.  Il me reste quelques commandes à préparer. Tout est dans la chambre froide, cela devrait être rapide.

— Justement. J’ai une idée, propose Jérôme tout enjoué. Le repas est prêt, il suffit de le réchauffer. Mangeons et nous te suivons chez toi. Quatre paires de mains iront plus vite qu'une seule. Et puis, Alex découvrira ton petit domaine.

— Là, mon grand, si tu refuses, tu vas me le vexer, conclut Vincent en accompagnant sa phrase d'une tape sur l’épaule de Valéry !

Comme l’a promis mon oncle, le repas, succulent comme à chaque fois, est vite avalé. Nous nous dirigeons vers les voitures quand Félix nous interrompt. Nos regards se croisent un bref instant et Valéry prend la parole.

—Ça fait des promesses et, au dernier moment, ceux-là se défilent, dit-il d'une voix forte et moqueuse en les désignant. J’embarque Alex, vous nous rejoindrez.

Lorsqu'il claque la portière, nous retrouver ainsi quasi dans la même configuration que cette nuit, a le même effet : nous éclatons d’un rire nerveux.

— Je ne m’attendais pas à tomber sur toi ce matin, dis-je alors que nous nous éloignons de la maison.

— Moi non plus. Tu ne devais pas rejoindre la première gare ?

— Si,  mais au nom de celle-ci, j’ai réalisé la proximité du gîte… Quand tu as franchis la porte derrière Vincent, j’ai cru...

— Que tu faisais un cauchemar ? Partir si vite pour me tomber dessus quelques heures après, c’est vraiment pas de chance.

—Je ne fuyais pas, précisé-je.

— Ça y ressemblait pas mal pourtant. As-tu eu l'impression que je te forçais à quoi que ce soit ?







Sortir de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant