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(Alex)

Pendant que Valéry prépare le matériel, je réalise à quel point je me sens bien auprès de lui. Sans vouloir analyser quoi que ce soit, l’évidence est là : nous nous entendons bien. Je ne pense pas que le fait que nous soyons du même groupe d’âge y soit pour quelque chose. Je côtoie régulièrement des personnes de mon âge sans ressentir cette sorte de complicité. Notre facilité à plaisanter rend les échanges agréables sans qu'ils deviennent lourds.  Lorsque je le regarde se déplacer dans le local, je ne peux m'empêcher d’y penser. Comment se fait-il qu’avec un corps semblable, il soit encore célibataire !  Même sous ses vêtements, loin d’être ajustés, impossible de ne pas repérer sa musculature. Rien d’extravagant mais le travail quotidien plus ou moins physique a sculpté ses bras et ses jambes. Rien à voir avec les bodybuilder des salles de sport.

— C’est très gênant d’être maté ainsi, remarque-t-il et je n’arrive pas vraiment à déterminer s'il blague.

— Je me disais que tu n’as aucun besoin d’aller dans une salle. Ton travail est largement plus efficace. Ma petite démonstration a dû te sembler ridicule ! 

— Pas le moins du monde, réplique-t-il en se dirigeant vers moi. Je me suis moqué dans le seul but de donner le change à Vincent. Je n’ai aucun doute sur ta musculature. Certes, elle est différente de la mienne mais elle te correspond.

— Il va falloir que tu m’expliques cette phrase.

— Mon corps s’ est musclé de lui-même grâce au travail sur l’exploitation. Sans ce qui s’apparente à une évolution logique du corps, mon travail deviendrait pénible. Dis-moi si je me trompe, d’accord ? Être designer ne nécessite pas d’être musclé me semble-t-il mais la position régulière voire quasi constante d’être devant un pc rend celle-ci indispensable. La natation et la marche sont les bons choix. Elles sculptent les bras et les jambes sans excès et évitent l’arrivée de petites lourdeurs par ici, dit-il en me touchant le ventre et les fesses. Aucune obligation à part celle du regard que tu portes sur toi.

— Est-ce que cela fait de moi une personne un peu trop attachée à mon apparence ? 

—Ai-je dit une telle chose ? Sans connaître ton métier, il est évident qu'il s’adresse à un public relativement aisé. L’apparence, ton apparence, lors des quelques rendez-vous peut avoir une incidence sur les décisions, tu ne crois pas ?

—C'est ainsi dans chaque travail, non ? 

— Exact. Les premiers restaurateurs que j’ai démarchés, j'ai fait l'erreur de ne pas y prêter attention. Me présenter face à eux avec ce genre de tenue, dit- il en montrant sa combinaison tâchée, ne me semblait pas important. C’est Francesca qui m’a ouvert les yeux. L'apparence est un signe de respect. Faire en sorte de ne pas avoir un air avachi sert à ton business. 

Le dernier mot prononcé est appuyé par son index posé sur ma poitrine. Ses pupilles couleur onyx ne me lâchent pas un instant. Nous avons l’un comme l’autre la même envie mais il ne fera rien, je le sais. Est-ce que je regrette ? Oui et non. Je n’ai pas envie de me contenter d'une relation rapide et enflammée. Pas avec Valéry. Il me serait quasiment impossible d’envisager de le croiser lors de mes visites chez Jérôme. Je veux tout ou rien. Enfin, s'il lui prenait l'envie de taquiner mes lèvres , je ne pense pas que j'arriverais à m'y opposer. 

—Au boulot ! Voici les listes, me dit-il en me montrant les feuilles.  Je ne pense pas qu'utiliser une balance te pose un problème. Je te montre et on s'y met. Dans l’idéal, pouvoir en livrer une partie cet après-midi m’arrangerait.

— Ce sont des restaurateurs ?

— Non. Quelques petites épiceries et des particuliers. En fait, pour la plus grande partie, ceux qui venaient au marché. J'ai dû faire un choix. En faire me prenait  trop d'énergie et de temps. 

— Et je suppose que payer une personne n'est pas envisageable ?

— Le coût en lui-même n'est pas vraiment le souci. Quelques heures par semaine n'intéressent pas grand monde. 

— Si tu avais un point de vente fixe, cela changerait la donne, non ? 

— Comme une épicerie, tu veux dire ? 

—Non, non. Encore plus chronophage qu’un marché et coûteux. Je pense plus à un lieu qui pourrait servir de dépôt. Comme le foyer par exemple. Pas ou peu de coût de location puisque partagé, moins de frais d'essence pour les livraisons. Le seul bémol est peut-être la prise de commande. Je suppose que c'est essentiellement par téléphone ? 

— Oui. Mais je gère pour l’instant. Ton idée me plait bien. Comme quoi un regard différent peut tout changer, hein ?

— Ce système s'installe de plus en plus à Bordeaux. Faute de place, il s’agit souvent de cases mais cela fonctionne. L'idéal serait d’avoir plusieurs lieux et un employé qui pourrait avoir un nombre d’heures plus conséquent.

Il a arrêté de travailler et écoute ce que je lui explique avec 
beaucoup d’attention ce qui encore une fois me trouble. 

—Tu sais convaincre, c’est certain. Est-ce que cela te dit de rester manger ? J’ai besoin d'un peu plus d’infos pour juger si c’est viable par ici. 

—Tout dépend de ce que tu mets dans mon assiette ! J’envoie un message à Jérôme pour le prévenir. J’ai quelques sites en tête pour que tu visualises ce que cela peut donner. Je suppose que tu as Internet ? 

— Le réseau n’a sûrement rien de comparable avec ce que tu as sur Bordeaux mais il faudra s’ en contenter.

Sortir de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant