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(Alex)

Presque 20 heures et déjà, je m’impatiente. Cela fait quinze jours que je suis rentré à Bordeaux. Quinze jours d’appels plus ou moins longs chaque soir. Et je n'ai aucune honte à le dire, j'en suis devenu accro. Je l'ai réalisé hier lorsque j'ai tout bonnement refusé d'aller manger dehors. Est-ce que cela m'angoisse ? Nan. Pour une très bonne raison : je préfère une bonne discussion avec Valéry que n’importe quelle soirée au restau ! 

Le son caractéristique d'un message interrompt mes pensées.

[Val : Vincent m’a embarqué quasiment de force pour manger. Paraît que je deviens un ours ! Je t’appelle si je ne rentre pas trop tard. Bises.]

[Alex : Un pote m’a dit la même chose hier. Dis- moi, il n’y a pas moyen que l’on se voit ce week- end ?] 

Aucune réponse à ma question. C’est moi qui redoutait cette attirance que je craignais éphémère. J'ai peur subitement d'avoir dit une ânerie. 

[Alex : Oublie ma proposition. Je comprends que cela t’inquiète. Bonne soirée. Je te dirais bien de les embrasser pour moi mais…. A demain.]

Je fixe pendant un long moment l’écran de mon téléphone mais rien. Aucune réaction. Je tente de me rassurer comme je peux. Valéry n'est pas le genre d'homme à garder son portable constamment dans les mains. Il l’a peut-être tout simplement dans la poche de son blouson et prend tranquillement l’apéro avec Jérôme et Vincent. Je m'installe sur le canapé et tente de me plonger dans une lecture mais les mots défilent dans mon esprit sans que je ne les comprenne. Je tente une émission sans plus de succès. Mon esprit reste coincé sur ce stupide message envoyé sans réfléchir, et le deuxième qui accentue le tout. Roulé en boule sur mon lit, je me maudis moi même. Même ma solution de recours en cas de détresse est impossible. Comment m’expliquer auprès de Jérôme de ce que je m'évertue à lui dissimuler ?

Lorsque mon portable sonne, je fais un bond et fait tomber celui-ci. Le temps de le récupérer, il sonne à nouveau.

— J’ai prétexté un besoin urgent donc j’ai très peu de temps. En quoi devrais-je m’inquiéter ? 

Il est temps d’assumer tes actes, Alex.

— J’étais impatient de discuter avec toi. Ton message m’a...frustré et mes mots sont sortis sans filtres, bafouillé-je. 

— Et tu as envoyé le deuxième. Qu'importe le nombre de messages et leur spontanéité, j’adhère entièrement à ta proposition. Ma camionnette n’arrivera pas jusqu'à Bordeaux. Je te propose un truc. Regardons chacun de notre côté et on en parlera demain. Bisous.

Et il raccroche. Cet homme va me rendre dingue. En quelques mots, il me fait passer de l’angoisse à un état euphorique. Deux pas et j’ai récupéré mon ordi portable et à peine est-il posé sur mes genoux que je me lance dans les recherches. Se retrouver quelque part entre chez moi et chez lui. Marmande ou ses environs semble être correct. Très vite, je découvre quelques possibilités d’hébergement dont un sympathique gîte. Largement plus sympa qu'une banale chambre d’hôtel. Mon esprit s'égare. 

Autant dire que la nuit n'a pas été très reposante. La matinée semblait prendre le chemin d'une totale improductivité jusqu’à son appel.

—Toutes mes excuses pour mon appel bref et très concis. J’étais en plein apéro avec Vincent et Jérôme quand j’ai lu ton message. Ta proposition a provoqué une chaleur soudaine sur mes joues et j’ai dû réagir de façon un peu précipitée.  

— Jérôme a repéré un truc, m'inquièté-je ? 

— J’en avais peur d’où ma disparition rapide. À mon retour, aucun des deux n’a formulé de remarques. 

— Nous allons trouver un moyen pour éviter que cela se reproduise, je te promets. As-tu eu le temps de regarder ?

—Très brièvement. Les horaires des trains sont peu pratiques.

— J’ai une voiture, tu sais. Même si je l’utilise peu en ville, c’est malgré tout indispensable. J’ai vu deux possibilités de gites qui semblent être sympas.

Seul le silence me répond. Ai-je été trop vite en besogne une fois encore ?

—Valéry ? 

—Je suis là. Je crois qu'il est nécessaire que l’on discute de ce que chacun de nous attend de ce rendez-vous. Tu es celui qui l’a proposé mais j’avais la même envie. Discuter avec toi tous les soirs ne me suffit plus. Même une visio ne m’irait pas. Je souhaite un peu plus que te voir. Mais as- tu  la même envie, toi ? 

— Pareil concernant la discussion. Elles doivent influer sur ton temps de sommeil. Et tu as pu constater sans grande difficulté que je suis plutôt bavard.

— A peine.., souligne-t-il.

— Je ne promets pas d'arriver pour autant à gérer mon débit de paroles. Pour une raison économique j’ai plutôt cherché un truc commun mais …

— Ce n’est pas cela qui me perturbe. Plutôt ce que cela implique, tu comprends ? As-tu modifié ta façon de penser nous concernant ? 

— Ce serait une énorme hypocrisie de ma part de dire l’inverse. L’envie reste là pour tous les deux, inutile de nier. Entendre ta voix ne me suffit pas.

— Même constat pour moi. Mais, nous en faisons quoi ? Ton oncle et mon seul ami sont toujours dans l’équation. Je ne pense pas être capable mentalement de vivre une relation cachée et à distance. 

— Tu as déjà eu une telle expérience ? 

— Non. Et toi ?

— Mes seules expériences ont été, pour différentes raisons, éphémères. S’il te plait, Valery. Viens ce week-end, nous devons en discuter. 

— Je m’organise pour cela. Je te laisse réserver et m’envoyer les coordonnées. Je ne pourrais arriver que samedi dans l'après-midi afin de ne pas trop désorganiser mes livraisons de lundi. L’option gîte me met plus à l’aise qu'un hôtel. Quelque chose de simple, hein ? 

— Je regarde cela dans la journée et je t’envoie ma sélection pour que l’on se mette d’accord. 

Sortir de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant