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(Valery)

La semaine est passée à une vitesse incroyable. Une fois l’utilitaire rendu, Alex m’a très souvent tenu compagnie. Évidemment il n’a pas l’efficacité de Vincent mais il est volontaire et toujours souriant. Pour limiter la charge de travail, j’ai négocié les quantités avec deux de mes meilleurs clients. Ils sont satisfaits de mes produits et reconnaissent ma ponctualité. Je n’ai donc pas eu de mal à décaler des commandes moins urgentes. Résultat des courses, nous voici Alex et moi, installés dans un train vers Bordeaux.

— As-tu pu discuter avec Jérôme ?

— Pas de tous les sujets que j’aurais voulu aborder mais du plus important, oui. J’avais peur de lui faire de la peine, je découvre qu'il est moins naïf que moi. 

— Concernant ta mère ? Je ne parlerai pas de naïveté. Il me semble que c’est presque logique de croire que nos parents penchent plus du côté bon que l'inverse. Ton oncle était adulte lorsque sa famille l’a rejeté. Ton jeune esprit ne l’a pas intégré de la même manière. Jérôme n’est pas du genre à imposer des idées ou des façons d’être. Il est très pédagogue. D’après toi, pourquoi leur foyer fonctionne aussi bien. Les discussions y sont ouvertes, à eux deux ils arrivent à alléger des tensions grâce à leur capacité d’écoute. 

— C’était pour cette raison que je m’adressais à lui adolescent. Peu d’adultes de mon entourage étaient intéressés à m’écouter, encore moins à répondre à mes questions. 

— Et pourtant tu n’arrives pas à lui expliquer pourquoi tu as freiné notre relation. 

— Parce que je vais passer un sale quart d'heure, tiens !  

—Il y a de fortes probabilités en effet. Refuser de concrétiser notre couple par peur de risquer des embrouilles si nous nous fâchions. Avoue que c’était tordu !

— Tu as accepté malgré tout.

— Il n’était pas question de ne plus te voir. J’ai préféré miser sur l’avenir. 

Il pose sa main sur la mienne, les yeux brillants. Son geste est d'une tendresse incroyable. 

— J’ai très envie de te serrer contre moi, chuchote-t-il. 

— A partir du moment où j’accepte de ne plus me cacher face à des personnes que je côtoie,je ne vois pas pour quelle raison je m’y opposerais devant des inconnus. 

(Alex)

Ses mots me font fondre et je me pelotonne contre lui. Une demi-heure plus tard, il me suit pas à pas dans la gare. 

— Il y a toujours autant de monde ?

—Je ne suis pas un très grand habitué mais je suppose que cela doit ressembler à un trafic classique, oui. Mon chez moi se trouve un peu éloigné pour y aller à pied. Je vais t’épargner le métro. 

— C’est si terrible que cela ?

— L’expérience est intéressante. Des personnes collées à toi qui ne sentent pas toujours la rose, le bruit, la chaleur. Quand je peux éviter, je le fais. 

— Et ta voiture ? 

— Parfois, je la prends mais c'est plus facile à pied ou en  vélo. Se garer est infernal en ville. 

Le trajet n’a pas été long, nous voici devant mon immeuble. Valéry est le premier petit ami à venir ici. Pas étonnant,  il est le seul. Aucune petite amie n’y est entrée non plus. Je lui attrape la main et l'entraîne dans la montée de l'escalier. 

—Trois étages, cela ne va pas te gêner ! 

— Pas le moins du monde. Après toi. 

Après avoir déverrouillé la porte, je le laisse pénétrer dans l’appartement. Une grande pièce éclairée par deux grandes fenêtres. Dans le coin gauche, une petite cuisine équipée.  Sur la droite, canapé, table et bibliothèque. 

— Belle pièce de vie. 

—Bien trop grande vu que je suis plus souvent dans mon bureau et dans ma chambre, dis-je en  montrant deux des trois portes restantes. 

Je suis attentif à son regard lorsqu'il découvre, collés sur le mur du bureau, des plans, des esquisses, et l’endroit vide où se trouvait ma table à dessin. Quelques livres au sol.

— Je n’ai pris que l’indispensable. Le reste suivra, je n’ai pas encore décidé si je garde l’appartement ou si je le vends. 

— Qu’est-ce qui t’aiderait à prendre cette décision ?

— Nous concernant, je suis rassuré. J’ai besoin d’un peu plus de recul concernant mon travail. Selon le besoin de garder un pied à terre ici, j’agirai. 

—Tu l’as acheté il y a longtemps ? 

— Jérôme m’a légué son appartement de son vivant. Il est très grand, je ne m'y sentais pas bien. Et…

—Ton esprit n’est pas serein concernant ce logement, je te comprends. Une fois que tu en auras discuté avec Jérôme, je suis persuadé que vous mettrez tout à plat. Je peux te poser une question ? Pourquoi ne pas vendre celui dans lequel tu es le plus mal à l’aise. 

— Je soupçonne ma mère de vouloir l’acquérir. 

— Et tu ne veux pas qu’elle le fasse, complète-t-il. Je n’y connais pas grand chose mais je suppose qu’en tant que vendeur, tu es celui qui choisit, non ? 

—Tout à fait. Et elle le sait. 

—Et tu as peur qu’elle y arrive de toute manière. Est- ce que cela dérangerait Jérôme qu’elle en devienne propriétaire ? Réalises-tu que tout ce qui t’angoisse est en rapport avec Jérôme. Que discuter avec lui te permettra sûrement  d’être apaisé. Qui y-a- t-il derrière les deux autres portes ? demande -t-il tout sourire.

— Je te laisse découvrir.

Il entre et je le suis. La pièce n’est pas très grande et ne contient qu'un grand lit et une armoire banale

— Rien de très extraordinaire, hein ? 

—La mienne ne  dispose pas de tellement plus qu'un lit et d’une armoire. As-tu déjà ?

— Non. Ni dans le lit, ni dans aucune pièce de l’appartement. 

   

Sortir de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant