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Il vient de me faire une trouille bleue ! Après une discussion agréable dans la voiture, très agréable même si je la compare à celles de ces derniers jours avec Mathieu et les autres, son débit de paroles a ralenti. J'ai supposé qu'il s'assoupissait. La dernière indication pour entrer dans cette cour a été suivie par un silence assourdissant. Sa tête bloquée contre la vitre de la portière. Je crois que j'ai battu le record de vitesse pour me détacher et me retrouver au pied de la porte passager.
Il est conscient mais groggy. Sa blessure à l'arcade saigne mais je ne pense pas que cela soit la cause du malaise. Une hypoglycémie me semble plus vraisemblable. En attendant, il se laisse faire et en très peu de temps, je l'aide à s'asseoir dans la cuisine. Est-ce chez lui ? Au vu de la décoration, elle est visiblement plus âgée que lui, largement plus. Un style rustique que j'ai des difficultés à associer avec un jeune de mon âge.
L'effet du sucre est rapide et confirme la probable hypo.

-Tu reprends des couleurs. Tu m'as fait une de ses peurs. As-tu un truc à manger pour éviter que l'effet du sucre rapide s'estompe trop vite ?

Il me regarde, hagard. Avec mon portable toujours, je cherche l'interrupteur, d'époque lui aussi, et j'allume la lumière. Même si c'est un peu osé, je n'attends pas sa réponse et fouille dans le meuble où j'ai trouvé le sucre. Aucun gâteau. Un tour d'horizon me permet de découvrir au milieu de pas mal d'autres objets sur le plan de travail, un demi-pain sur une planche à découper. Un bref instant, je l'imagine en train de trancher celui-ci, à l'ancienne , le pain reposant sur ses abdos. Ça sort d'où ce truc ? Je pioche un carré de sucre que j'enfourne dans ma propre bouche, je fais peut-être moi aussi un début d'hypo. Puis je tranche dans le pain une belle tartine.

- Tu as faim ? me demande-t-il avec la même ironie qu'auparavant.

- Non. C'est pour toi. J'ai un ami qui fait régulièrement ce genre de malaise. Faut que tu prennes du sucre lent. Si tu me guides, je peux y mettre un truc dessus. Ce sera mieux que de fouiller dans les placards comme je m'apprêtais à le faire.

-C'est donc ainsi que tu occupes tes week- end !

-Non. C'est purement exceptionnel. Sérieusement, il faudrait que tu manges un peu. À quand remonte ton dernier repas ?

Il lève les yeux au ciel, soupire.

-Arrête ton cirque, s'il te plaît. Entre la bagarre, le sang perdu, et peut-être un choc, tu as perdu de l' énergie. Le sucre a donné un coup de fouet mais cela ne durera pas.

Je ne sais pas comment le faire réagir. Il peut aussi s' agir d'un contrecoup de la bagarre, quoiqu'il ne semble pas du tout désorienté. Je suis debout, à côté de sa chaise, et pour mieux appuyer mes propos, j'ai posé ma main sur son épaule. Il tire sur mon bras, s'en servant pour se lever. Nous nous trouvons quasiment collés l'un à l'autre lorsque sa bouche s' approche très près de la mienne. Dans un même temps, son autre bras m'accroche la hanche pour me coller à lui.

-Tu fais quoi, là ?

-Je pense que tu dois le savoir. J'en meurs d'envie depuis un petit moment. Il est encore temps de m'arrêter, chuchote-t-il.

Il me suffit de poser ma main sur son torse et de le repousser ou tout simplement lui parler. Mais en ai-je envie ? De m'éloigner, pas vraiment. De me laisser porter dans ce que je vis depuis le début de la soirée, oui. Dois-je lui dire que c'est ma première expérience ?

Ses lèvres goûtent les miennes, doucement comme s'il me laissait encore un peu de temps pour l'arrêter. Ses yeux noirs ne me lâchent pas un instant. Sa main se glisse sous ma chemise, je me fige. Et immédiatement, il arrête.

- Trop rapide ? chuchote-t-il.

- Un peu, oui. Je vais appeler mon taxi, dis- je en sortant de la maison.

Je suis troublé, terriblement troublé. Par la puissance mêlée de douceur de ces lèvres d'homme. Une première pour moi.

-Je suis désolé, dit-il quand il me rejoint dehors. Ne crois pas que c'est habituel. Cela ne m'était jamais arrivé.

- Moi non plus.

Je ne rentre pas dans les détails. J'en serais bien incapable. Que se passe-t-il ? Sans être un coureur de jupons, j'ai quand même eu quelques copines. Mais je suis certain d'un truc, je n'ai jamais été attiré par les hommes. Pourquoi cette soudaine attraction pour celui-ci ?

- Tu as appelé ton taxi ?

- Oui. Il sera là dans vingt minutes.

Le silence s' étire entre nous.

-Je peux t'offrir un café en attendant. Je te promets de laisser mes mains dans mes poches, ironise-t-il.

Quand je claque la portière du taxi une demi-heure plus tard, je ne regrette pas un seul instant de ma soirée. Après sa remarque ironique, s' asseoir autour de la table avec café et pain a été plus facile. Je réalise que nous n'avons même pas échangé nos prénoms.

-Alors, Monsieur ? Quelle direction prenons-nous ?

J'y ai réfléchi tout à l'heure. Il me reste quelques jours de vacances, et je sais que je serai accueilli les bras ouverts.

-Je me demandais. A quelle distance sommes-nous de Nérac ?

-Vingt petites minutes.

-Parfait, on y va.

Le ronron de la voiture me permet de sommeiller plus ou moins.
Le taxi me dépose au centre du bourg. À moi de décider de ma direction. Il est presque cinq heures. Mon oncle a toujours été un lève-tôt mais là, cela me semble vraiment tôt. Si je me dirige vers le gîte de Francesca, je pourrais sûrement me faire payer un café en attendant d'aller frapper chez Jérôme et Vincent. Et après, que leur dire pour expliquer mon arrivée imprévue et très matinale ? Puis-je parier sur l'effet de surprise pour atténuer leur curiosité ? On verra.

Sortir de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant