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( Valery )

C’est la première fois que je découvre Alex dans son environnement. Après la brève visite de l'appartement, mon estomac a bruyamment témoigné . Contrairement à nos autres rendez-vous, aucun de nous n’avait prévu quoi que ce soit. Alex s’est gentiment moqué de mon ignorance concernant les commandes par Internet ou téléphone. Mon air éberlué quand il a énuméré les multiples possibilités l’a bien fait rire.

Mon indécision a provoqué une autre salve de rires que j’ai stoppée en le clouant sur les coussins du canapé.

— Tu fais moins le malin, maintenant ! 

—J’avoue, dit-il , le regard chaud comme  la braise.  Pour infos et sans aucune moquerie de ma part, les livraisons devraient arriver d'ici un petit quart d'heure. Ton estomac semblait crier famine. Le kebab froid est une expérience que je te déconseille. 

—Je promets de tout stopper dès que cela sonne.

J’ai presque tenu ma promesse. Lâcher ses lèvres, stopper mes caresses sur son corps a été difficile. Nos regards se sont à peine quittés pendant que nous avalions nos plats. Alex s’est amusé à me donner la becquée mais mon estomac était rassasié. Notre autre soif demandait à être étanchée.
Lors de mes nombreux fantasmes concernant Alex, je l’avais toujours imaginé gémir sous mes assauts dans ma chambre. Le sien semblait être un peu différent. Je n’ai pas résisté à la douceur de ses lèvres ni aux caresses hardies de ses doigts. Sa première fois s’est produite chez lui. 

Alors que je le regarde récupérer à mes côtés, je me promets de lui offrir d’autres rounds.

— Qu’aimerais tu découvrir sur Bordeaux ? 

— Je ne connais rien de la ville donc je te laisse carte blanche. 

— C’est que nous ne disposons pas de beaucoup de temps. Il va falloir jouer serré. J’ai deux trois dernières bricoles à charger dans la voiture. Après j’adorerais faire une petite pause câlin.

— J’approuve le programme. Et si je te donnais un coup de main pour rassembler ces fameuses bricoles ?  

Autant être honnête, j’ai découvert le périphérique de Bordeaux lorsque nous avons été récupérer la voiture puis lorsque nous avons quitté la ville. Rouler ne nous empêche pas de parler et nous ne manquons pas de sujets de discussions. Plus nous nous approchons de notre destination, moins j’ai envie de me séparer de lui. A la première opportunité, j’actionne mon clignotant et je me stationne.

— Que fais-tu ?

— Je crois que tu le sais très bien. Je n’ai pas du tout envie de me retrouver seul. Suis- je le seul à ressentir cela ?

— Bien sûr que non. Est- ce que tu crois que c’est ce que l’on nomme un coup de foudre ?

— Je ne pense pas, non. Je ne t’ai pas raconté d’histoires, j’ai eu quelques aventures. D’un soir, même pour beaucoup d’entre elles, de quelques heures. Il était seulement question d'une attirance sexuelle. Je n’en attendais rien de plus. Ce qui s’est passé avec Éric est ma relation la plus longue et ce n’était guère plus que du sexe plus confortable. Je ne nie pas que tu m’as attiré mais cette sorte d’osmose que je ressens lorsque je suis à tes côtés, je ne l’ai jamais vécu auparavant.

— J’ai encore moins d’expérience que toi. Une ou deux filles avec lesquelles j’ai flirté. Jamais eu envie de plus, bien loin des courses au sexe de la troupe de Mathieu. Tout ceci est nouveau mais je n’ai pas envie de le perdre. Moi aussi je me sens bien à tes côtés. Nos discussions me plaisent parce que ni toi ni moi nous ne semblons bloqués. Je ne sais pas comment l'exprimer. 

— Par nos différences de vie, de milieu social. Je vois très bien ce que tu veux dire. Nous sommes curieux et ouverts sur les choix de vie de l’autre.

— Et tu crois que cela suffit pour que notre couple dure ?

— Je n’en sais rien mais j’ai toujours envie d’essayer. L’idée de seulement se croiser ne me convient pas. Cela ressemble à une version un peu moins contraignante qu'une relation à distance. Je ne te mets aucune pression. C’est juste mon ressenti. 

— Je le comprends très bien ne t'inquiète pas. Si je peux travailler à distance dans le bourg, je dois pouvoir le faire de chez toi. Parce que si je comprends bien, c’est  ce que tu souhaiterais, que je m’ installe directement chez toi ? Ce n’est pas pour le coup un peu rapide ? 

— Cela semble t'effrayer ?  

— N'exagérons rien. De célibataire passer à un  statut de couple est un sacré changement. Je sais pertinemment que j’ai des petites manies. Les supporteras-tu ? Supporterai-je les tiennes ? 

—Je n’en sais rien, Alex. Là, à l’instant, l’idée de me retrouver sans toi ce soir ne me plait pas. 

— J’avoue qu'à mon tour, j’aimerais découvrir les autres pièces de ta maison. Je rentrerai chez moi dans la matinée pendant que tu travailleras sur l’exploitation. Je laisse un SMS à Jérôme pour éviter qu'il ne s’angoisse pour rien, d’accord ?

(Alex)

Je n’ai jamais eu l’occasion de franchir cette porte jusqu’à présent. Celle qui mène vers le côté droit de la maison. Valéry, de son propre aveu, n’y est que lorsqu'il va dormir et se laver. Je n’avais pas réalisé à quel point la bâtisse est grande. Il y a trois belles pièces. Sa chambre, celle de ses parents, une autre de taille plus cosy que sa mère gardait pour la couture. 

—La déco est, comme tu peux le constater, plutôt démodée. Au décès de ma mère, lorsque j’ai pris la décision de rejoindre mon paternel sur l’exploitation, nous avions prévu de redonner un coup de jeune. Le temps nous a vite manqué. J’avais beau prendre en charge la part du travail la plus intensive, mon père n’avait plus ni force ni envie. 

— Et je suppose que stopper l’exploitation était impossible…

— La vente des légumes et fruits représentait leur seule source de revenus. La population autour diminuait, se suffisait à elle-même entre jardins et marchés et grandes surfaces. Son intention était de vendre et de partager en deux afin que j'ai le choix. Il ne s’ est pas réveillé un matin comme s'il n’en avait plus envie. 

— Et tu n’as pas voulu vendre ? 

— Pour faire quoi ? À part, les deux années au lycée agricole, loin d’être très incroyables, ma vie a toujours été là. J'ai mis les bouchées doubles, innové sur certaines pratiques. Sans la rencontre avec Francesca et Vincent, j'aurais sûrement baissé les bras. Francesca est une sacrée bonne femme, dotée d'une énergie hors du commun. Elle a réussi à se faire respecter ce qui est très loin d'être évident pour une femme seule. L'arrivée de Vincent, efficace, toujours en mouvement et sachant d'un regard ou d'un mot calmer les mauvais coucheurs, a propulsé le gîte dans les meilleurs du secteur. Petit à petit, grâce à son influence, les restaurateurs m'ont offert leur confiance.

Sortir de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant