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(Valéry)

Le travail avance vite à deux, Alex est efficace au point qu'il ne me restera qu'à charger tout à l’heure. La plupart de mes journées, je les passe habituellement seul. Cela ne m’a jamais réellement dérangé. La routine m’aide à m’échapper, les gestes sont devenus machinaux. Malgré mon rendez- vous qui avait raccourci ma matinée, le travail à quatre mains m’a permis de ne pas accumuler de retard. 

—Cela suffira pour ce matin, dis-je. Tu m’as bien aidé, merci. 

— Je ne sais pas si mon corps accepterait de faire cela tous les jours mais ce n’était pas déplaisant. Ton organisation te permet de t’en sortir mais le nombre de tâches à exécuter, seul, ne laisse guère de place à l’oisiveté. 

— C’est un mot qui ne fait pas partie de mon vocabulaire, c'est certain, ironisé-je. J’essaye de m’avancer dès que je le peux et en cas de gros coup dur, je sais que Vincent ou Jérôme peuvent donner un coup de main. 

—Et quand ils ne peuvent pas ? 

—Je suppose que tu te doutes de la solution. Mon sommeil en fait alors les frais. Cela ne t’ arrive jamais ?

— Plus souvent qu’à mon tour, hélas.

Sa voix venait de changer. Il semblait subitement mal à l’aise comme si les mots qui allaient suivre gâcheraient l’instant. 

— J’adorerais profiter d'une autre semaine de vacances, reprit-il sans reprendre son souffle.  Mais si je ne veux pas me retrouver sous l’eau dès les premiers jours, je vais devoir rentrer sur Bordeaux.

— Déjà ? Jérôme ne t’aura quasiment pas vu, lui reproché-je. Tu n’aurais pas dû venir aujourd'hui.

— Je n’ai pas dit que j’allais partir demain, n'exagérons rien.  As-tu eu l’impression que je me sentais obligé de venir ?  C’est troublant, tu sais, lâche-t-il comme s'il n'arrivait plus à se retenir. Cette sorte d’attraction que je ressens...j’ai besoin de savoir, de comprendre ce que c’est…

— C’est pour cette raison que tu pars ? Pour y voir clair ? C’est étonnant comme démarche, non ? 

J’examine son regard, les mouvements  de ses mains pour tenter de comprendre la signification de ses mots.

— Cela peut paraître contradictoire, je l’admets, marmonne-t-il, la tête baissée vers le sol.  M’éloigner me permettra, j'espère, de comprendre. 

— Comprendre quoi ? m’énervé-je. Est-ce le fait que je sois un mec qui t’oblige à  réfléchir ? 

— Bien sûr que non, souffle-t-il exaspéré.  Toi et  moi, nous  sommes novices en relations et cela me fout une trouille incroyable.

—Je ne comprends pas, commencé-je à formuler. Attends... As-tu peur qu'une hypothétique séparation puisse provoquer une conséquence sur nos relations avec Jérôme et Vincent ? C’est cela ta peur ?

— Jérôme est ma seule famille, se contente-t-il de dire comme si ces quelques mots expliquaient tout.

— Réalises-tu ce que tu racontes, Alex, me moqué -je. Tu as peur de l’effet d'une séparation alors que rien entre nous n'est encore construit ! 

— Je ne trouve pas cette situation drôle, Valéry. J’ai besoin d'un peu de temps. J’aimerais discuter, échanger, apprendre à nous connaître. Je veux être sûr que ce qui m’attire en toi n’est pas juste le fait  d'une envie passagère.

— C’est déjà cela de gagné, nous éprouvons tous les deux la même chose. Je ne la nie pas, moi. T’embrasser la première fois ressemblait à s'y méprendre à un geste impulsif. Mais comment expliques-tu que la même envie survienne en moi à chaque fois ? 

Ces derniers mots, je les lui chuchote. Mon corps est quasiment collé au sien et rien dans sa posture ne montre que cela le gène.

— Je n’en sais rien. Me crois- tu insensible ? dit-il  en m’attrapant la main pour la poser sur sa poitrine. Écoute-le battre. 

— Je l’entends très bien. A mon tour de te poser une question. Que se passerait-il si je posais ma bouche là,  susurré-je en posant mon doigt sur sa lèvre supérieure. Ou s'il me prenait l'envie de mordiller le lobe de cette oreille.

— Je ne te repousserais pas.

— Sans être pour autant satisfait, j’ai compris. Alex,  je vais être honnête. Je n’ai aucune idée de ce que peut signifier une relation à distance. Nos conversations me plaisent. Essayons de voir ce que cela donne.

Même si je n’avais aucune idée de la manière que cette drôle de relation pouvait évoluer, j’étais plutôt confiant. La tentation serait moins forte et les soirées moins longues. Le fait qu’Alex possède un bagage scolaire plus conséquent ne m’inquiétait pas. Ma solitude m’avait permis d’étancher ma soif de connaissances. 

Entre la préparation du repas, étonnamment teintée de naturel, les liens donnés vers les sites dont il m’avait parlé, le temps s'écoulait. Inutile de se poser la question, l’un comme l’autre, avons conscience que cette surprenante intimité prend fin. Même si, comme il me l’a annoncé, il ne part pas demain, je sens cette sorte de parenthèse se fermer. Et s'il ne répondait pas à mes messages ? Et si je n’avais pas le courage de lui parler ?

—Je dois charger et faire mes livraisons. Je te raccompagne par la même occasion ?

— Si cela ne te fait pas faire un détour, je veux bien oui. Je ne sais pas comment l’exprimer… j’ai été content de passer du temps avec toi. 

—Tu vas rejoindre tes amis ? 

— Ce nom ne leur correspond pas vraiment. Ni eux ni moi n’avons pris de nouvelles. Ma “ disparition” ne les a pas inquiétés.  

— Pas même un message ? 

— Non. Et ce n’est pas très important, crois- moi. Le but de ce genre de vacances est en quelque sorte de se vider l'esprit. Trois éléments principaux : alcool, drogue et sexe. Il semble que cela ne me correspond pas. 












Sortir de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant