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(Alex)

Découvrir le domaine de Valéry comme l’a nommé Jérôme m’impressionne. A-t-il seulement pris la suite de ses parents ou tout réorganisé pour pouvoir en vivre ? Je n’avais vu que la cuisine qui, a priori, se trouve dans le bâtiment central. A sa gauche, je découvre une autre bâtisse de la même époque, je pense. Une énorme porte laisse apparaître plusieurs engins pour travailler la terre pour ce que j’en sais. 

— Mets cette veste, Alex. Jérôme et Vincent ont les leurs à l’intérieur. Lorsque je dis chambre froide, ce n’est pas tout à fait le cas mais malgré tout, avec seulement ton tee-shirt, tu vas te cailler. 

Je l’enfile et suis le mouvement vers la partie la plus récente.

—Tu gères tout cela tout seul ? demandé-je, curieux.

— Jusqu’au décès de mon père, il y a quatre ans, nous étions deux. J’espère d'ici quelques temps pouvoir embaucher une personne à mi-temps mais pour l’instant c’est impossible. 

—Parce que tu as d’autres clients que Francesca ? 

L’éclat de rire de Jérôme me fait rougir. Vincent pose sa main sur mon épaule et m’entraîne un peu sur le côté.

—Je vais t’expliquer parce que Valéry est bien trop modeste pour le faire. Vois-tu les arbres fruitiers au loin ? 

—Ne me prends pas pour un idiot, Vincent ! Même si d'ici je suis incapable de te dire si ce sont des pommiers ou autre chose, je les vois, oui, m’énervé-je.

—Regarde sur ta gauche maintenant, continue-t-il sans réagir le moins du monde à ma remarque. Vois-tu ce qui ressemble à un clocher ? 

Je plisse des yeux, mais sans repérer ce dont il me parle. Valéry s’approche, pose une main sur mon épaule et de son autre main dirige ma tête vers le point en question. 

—Là. Tu le vois ? Avec le coucher du soleil, cela devient compliqué à discerner. J’ai dû cette année cesser la culture dans quelques secteurs, m’explique t-il. Les terres de mes parents s’ étalent jusqu’à loin. Seul, je m’y épuise. Cibler ce que je voulais cultiver et trouver les acheteurs potentiels m’a permis de commencer à rentabiliser l’exploitation. La renommée de la très bonne cuisine de Francés avec mes très bons produits est une merveilleuse publicité qui m’a aidé à  décrocher de nouveaux clients. 

J'entend ses mots, il est tout contre moi. Et de la même façon que la veille, je suis troublé. 

—En attendant, le boulot n’avance pas, poursuit-il. Jérôme et Vincent, vous êtes quasi autonomes. Moi, je  vais montrer à Alex.

—Valéry ? s'inquiète Jérôme.  Ne me fais pas regretter ma proposition,  veux-tu ?

—Et perdre des mains efficaces et disponibles ? Je ne suis pas  cinglé. Il s’ agit juste de vérifier la commande. Je chargerai demain. 

—Râle pas, bébé, commente Vincent.  C’est la meilleure place, le connaissant il  a déjà dû vérifier trois ou quatre fois. 

Je réalise à leurs traits d’humour à quel point ces trois hommes sont complices. Leurs univers sont si éloignés du mien. L’idée qui germe de plus en plus dans mon esprit de me rapprocher d’eux me semble irréalisable. Je me recentre sur l’instant et j'écoute les consignes de Valéry. Rien de bien compliqué en soi, je dois peser et mettre en plateaux tout en vérifiant que certains légumes ne sont pas abîmés.La variété m'impressionne : haricots, salades, tomates, courgettes de toutes formes et couleurs, aubergines, poivrons. Comment fait-il pour ramasser tout cela seul. Face à la rapidité d’exécution de Valéry, j’ai la sensation d’être un empoté .

—Un citadin qui connaît les noms des légumes, c’est rare, plaisante-t-il !

— Si ça ce n’est pas un cliché, je ne sais pas ce que c’est ! Manger des légumes est devenu tendance dans les milieux huppés. Et avant que Jérôme aille raconter ma vie d’adolescent, complèté-je en haussant volontairement le ton, je tiens à préciser qu’ à part le céleri que je n’aime toujours pas, je les mange tous dorénavant ! Ce n’est pas de ma faute si, très souvent, le temps me manque et que je leur préfère un sandwich prêt en quelques minutes ! 

J’ai juste le temps de me protéger derrière le dos de Valéry avant qu'une main s’abatte sur ma tête ! 

—Sale gosse ! Ah vous vous ressemblez bien, toi et Valéry, pour vous moquer des vieux, dit-il en me serrant affectueusement contre lui. Tes blagues à deux balles m’ont manqué ! Plus question de rester si longtemps sans que tu passes nous voir ! Je comprends que ma proposition de rester à la maison ne t'enchante pas vraiment mais il y a sûrement d'autres options. 

—Je te promets d'y réfléchir très vite, Jérôme, dis-je en lui embrassant tendrement la joue. 

Valéry nous propose de prendre une boisson mais Jérôme décline, lui proposant plutôt de filer au lit. Je trouve aussi que c’est une très bonne idée, je peine à garder les yeux ouverts. L'arrivée d'un sms résonne dans l'habitacle, j'extirpe mon portable de ma poche. 

[Je suis du même avis que Jérôme.Valéry ]

L'obscurité dans la voiture me convient plutôt bien. Ma tendance à rougir facilement se repère vite et Jérôme me poserait sûrement des questions. Là, il est concentré sur la conduite, le léger ronflement du côté de Vincent est assez significatif. Ce message me plait mais impossible d'y répondre pour l'instant. Arrivés à la maison, nous ne perdons pas de temps en discussions et allons nous coucher.

[J'en prends bonne note.] envoyé-je à mon tour.

Allongé sur le lit, j’attends un nouveau message. Un sursaut me sort du sommeil, et il me faut quelques secondes pour réaliser où je suis. Fainéant, je remets à demain la douche prévue et c’est sûrement avec le sourire aux lèvres que, cette fois-ci, je sombre pour un sommeil récupérateur.









 



Sortir de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant