~23~

134 25 38
                                    


( Jérôme )

Les explications de Francesca n'ont pas calmé les angoisses de Vincent. Il a néanmoins promis de ne pas passer au mode interrogatoire avec Valéry. Brusquer celui-ci le bloquerait, je pense. Et puis, contrairement à Vincent, je pense que “l’affaire Éric” lui a ouvert les yeux sur sa crédulité.

Mon mari est donc  arrivé passablement énervé. Sa sœur, découvrant son visage peu aimable, l’a littéralement viré de l'accueil. Depuis il s’ acharne à cribler le mur de trous, ratant systématiquement la cible du jeu de fléchettes. Alors que je prévois d'intervenir, mon portable sonne.

— En voilà une surprise ! Bonjour Alex.

—Bonjour. Tu as raison d’être moqueur, je n’ai pas appelé depuis trop longtemps. C’est quoi ce drôle de bruit de fond chez vous ?

À l'instant où il pose la question, l’idée germe en moi. Alex est presque du même âge que Valéry. Ils ont l’air de s’ entendre plutôt bien. Sans doute serait-il plus facile à Valéry de se confier auprès de lui. Et sans même prendre le temps d’en discuter avec mon mari bougon, je me lance.

— C’est Vincent qui martyrise le mur du foyer avec les fléchettes.

— Au bruit, cela ressemble à un massacre. Est-ce le seul sport où je pourrais avoir une petite chance de le battre ?

— Attends que je réfléchisse... C’est fort probable et pourtant tu es très loin d’avoir un bon niveau !

Mon neveu n’a jamais été un adepte du sport. Il pratique la marche ou la natation afin de préserver son corps mais rien de très intensif à ma connaissance. Pourtant, il a un point commun avec Vincent, il aime les challenges. J’ai l’intention, un peu honteusement, d'utiliser sa petite  parcelle de honte de ne pas avoir tenu sa promesse !!!

— Viens ce week-end pour te mesurer à lui ! Cela compensera le fait de ne pas m’avoir donné de tes nouvelles !

Vincent entend ma proposition et son regard s’ éclaire. Il me connait très très bien.

— Ton oncle a raison. Viens donc jouer avec moi, sale gosse !

— Je pense que je devrais  retenir le fait que tu peux être machiavélique. Mais tu as raison, Alex peut peut-être obtenir des infos, me dit Vincent en m'enlaçant tendrement une fois que j'ai raccroché. Pardonne- moi de perdre tout contrôle lorsqu'il s'agit de lui.

— Cela fait partie de ton tempérament, mon cœur. Je suis persuadé que Valéry va bien. Essaye de lui faire un minimum confiance. Il sait que nous veillons sur lui, même de loin. Toi comme moi savons à quel point être seul peut nous rendre marteau.

— Je ne suis pas aussi certain pour son côté raisonnable. Pour rappel, il est revenu avec l'arcade ouverte il y a très peu de temps.

( Alex)

Évidemment, j’aurais préféré que ce soit Valéry qui me récupère à la gare mais le grand sourire de Jérôme me fait du bien.

— Tu as une petite mine, me dit-il.

— S’ endormir dans le train n’est pas du tout une bonne idée. Quitte à avoir mal au dos, j’aurai mieux fait de venir en voiture !

— Il y avait si peu de monde que cela ?

— Bien au contraire, commenté-je. Un sale gosse avec son père complètement dépassé. Il n’arrêtait pas de piailler pour obtenir une fois à manger, une fois à boire. Du coup, j’ai mis mes écouteurs et hop,  j’ai sombré.

Jérôme éclate de rire.

— Cela me fait tant plaisir que tu passes quelques jours avec nous.

— Je t’avoue que l’idée de me faire un peu dorloter ne me déplait pas.

Je pense réellement ce que je dis. Jérôme a toujours eu cet effet apaisant. Lorsque j'étais ado, sa capacité d’écoute à mon égard me permettait de discuter de sujets que ma mère, sa sœur, se refusait à évoquer. C’est donc tout naturellement que je me suis de plus en plus tourné vers lui alors même que tout le reste de la famille le rejetait. Je ne suis pas très fier de lui cacher ma relation avec Valéry. Je ne suis pas plus satisfait d’imposer à celui-ci d’en faire autant. Il a été clair à ce sujet. Il comprend ma peur. Pour aller plus loin dans ma réflexion, je crois qu'il la tolère pour ne pas me perdre. Le silence dans l'habitacle m’indique que, loin dans mes pensées, je n’ai pas saisi l'instant où Jérôme a cessé de parler.

— Mon pauvre Alex, tu viens de faire plusieurs heures de train et moi je te saoule de paroles. Il me faut être honnête avec toi. Vincent et moi sommes très inquiets. Valéry semble exténué mais refuse de dire ce qui ne va pas. Néanmoins, il s’est confié à Francés, il a rencontré quelqu'un.

Je suis désarçonné par ses mots. A-t-il compris que je suis la personne qu'il a rencontrée ? De toute évidence, en parler lui tient à cœur puisqu'il vient de se stationner sur le bas-côté.

— Je suis peut être idiot mais en quoi est-ce inquiétant ? Et pourquoi tu m’en parles dans la voiture plutôt que chez vous ?

A sa posture, je comprends que mes questions ont fait mouche.

— La relation entre Valéry et Vincent est très forte.

— Je le sais, cela. Lorsque tu es revenu de Bordeaux, si déchiré par les actes de tes frères et soeurs, j'étais perdu. Je m’en voulais de ne pas avoir été à tes côtés. Malgré notre relation proche, je redoutais que tu me sortes de ta vie comme eux. Vincent m’a aidé à vider mon sac en me parlant de cette drôle de relation qu'ils ont tous les deux, Valéry et lui. Difficile de la définir mais il s’agit de beaucoup plus qu'une seule complicité.

— Je vais te confier une info qui t’aidera peut-être à comprendre notre inquiétude. Après notre rencontre, Vincent et moi, sommes rentrés dans une sorte de bulle. Inévitablement, Valéry s’ est trouvé un peu seul. Vincent était sûrement moins attentif et l'autre idiot ne voulait en aucun cas “déranger “ celui à qui il disait tout. Un mec est entré dans sa vie.

Je sais de qui il parle. Le mec dont je ne me rappelle plus le nom, celui qui a détruit la confiance de Valéry. Je me recentre sur les paroles de Jérôme.

— Vincent s’ en est énormément voulu de n'avoir rien vu.

— Il a peur que cette nouvelle rencontre le mette à mal ?

Sortir de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant