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(Alex ) 

Le bureau installé, je prends un peu de recul pour juger de l’ensemble.

— Je me refuse à le changer de place une fois de plus, gronde Valéry, les mains sur les hanches.. Ton côté légèrement maniaque n’est pas un cadeau.  Juste pour information, il n’est pas loin d’être dix heures. 

— Sérieux ? Mais pourquoi ne m’as tu rien dit, m’affolé-je.

— Parce que c’est faux. Il est à peine neuf heures. Tout le temps nécessaire pour que tu passes sous la douche, que tu mettes des habits dignes de ce nom. Après il ne nous  restera plus qu’à attendre nos invités. 

—Tu as réussi à me faire pardonner par Jérôme ? 

— Vincent a été d'une grande aide. Je pense que si tu y mets du tien, ton oncle oubliera vite. Ou ne ratera pas une occasion pour te rappeler…

— Qu'il a beaucoup de goût pour la décoration, éclaté-je de rire. Rien que pour avoir œuvré pendant ces deux mois pour qu'il ne débarque pas tous les deux jours ici, je te suis reconnaissant à vie.

— Hum. Je pense que je mérite beaucoup plus que de la reconnaissance. Beaucoup plus, dit-il en me collant contre lui d'une poigne très possessive. 

— Crois-tu que nous disposons du temps nécessaire, me moqué-je. 

— File à la douche, sale gosse. Nous reprendrons cette conversation plus tard.

Main dans la main, nous attendons les commentaires. J’ai encore en mémoire, le bâtiment plutôt austère que m’avait présenté Valéry. J’y avais vu un potentiel incroyable et après avoir vu mon projet sous forme de plan, Valéry m’avait donné le feu vert. De la vieille porte en bois, il ne restait rien. A la place, une structure mi-bois ancien,  mi-vitrée permettait à la lumière d’entrer. L’espace plutôt vaste était scindé en trois parties. Un coin bureau plutôt cosy pour discuter avec de potentiels clients, un espace où tous les anciens projets seront exposés et à l'étage, mon espace travail. 

—J’ai des excuses à t’adresser, mon grand. C’est parfait. Non seulement le bâtiment reste en harmonie avec l’exploitation mais la combinaison entre les vieilles pierres et la modernité verre et industriel est vraiment superbe. 

— Merci Jérôme. J’ai tenté de reconstituer l’image que j’avais perçu le jour où Valéry m’a montré le bâtiment. 

—As-tu eu des contacts avec d’anciens clients ?

— Pas vraiment, je m’étais plus ou moins mis en stand-bye pour les gros projets. Les quelques publications dans la presse régionale et pro ont fait quelques touches, j’ai quelques rendez-vous à honorer bientôt. 

— Et le reste ? Une date est-elle prévue ? intervient Vincent qui est resté silencieux jusqu’à présent.

— Deux des ouvriers de José viennent la semaine prochaine pour faire le placo, enchaîne Valéry. 

Il ne mentionne pas le fait que nous nous sommes un peu disputés au sujet des travaux. Contrairement à Vincent et lui, je n’ai jamais fait cela. Dessiner des plans, inventer des objets, je maîtrise. Valéry ne dispose pas de beaucoup de temps, aussi lui ai-je proposé tout naturellement  de trouver un professionnel pour le faire. Jérôme pose sa main sur mon épaule et m’entraîne vers la maison pendant que Vincent continue de discuter avec Valéry.

— Est-ce que par hasard la question des travaux est une source de conflit ?

—Vincent a dû te faire un petit résumé, non ?

—Ne prends pas ce ton, Alex. J’ai une petite anecdote à te raconter. Je te promets de ne pas m'éterniser, ironise-t-il. Après avoir pris la décision d’arrêter de travailler, je n’ai pas eu à me soucier de problèmes financiers. Pour être tout à fait clair, je n’ai jamais vraiment eu ce genre de soucis et je pense que tu es dans le même cas. Sans mauvaise intention, il m’est arrivé de blesser Vincent sans qu'il n’arrive à me l’expliquer vraiment. Lui comme Valéry ont appris à gérer certaines situations différemment. Là où nous estimons que payer quelqu'un pour détapisser ou peindre est logique, eux le ressentent comme de l’argent dépensé de façon inutile. Puis-je te donner un conseil ? J’ai découvert le bonheur de travailler à deux, de faire ensemble quelque chose pour notre maison. Je n’en suis pas plus bricoleur pour autant mais quand je passe devant ce bout de mur que j’ai peint moi même en écoutant les conseils de Vincent, j’en suis plutôt fier.   

—Tout est si simple avec toi. 

—Ne crois pas cela, mon grand. Nous avons tous les quatre,  un point commun. Quasi aucune expérience sentimentale, nous devons tout apprendre de l’autre et pour cela je ne connais qu'un seul moyen, se parler. 

Vincent et Jérôme sont partis juste après le repas et Valéry baille déjà depuis un moment. 

—Allons nous coucher, tu es fatigué, dis-je en me levant de ma chaise.

—Tu n’es pas obligé de te coucher aux mêmes heures que moi, tu sais !

— Je le sais. D'une, je ne me lève pas à la même heure que toi, le matin. De deux, mon travail est moins physique que le tien, surtout en ce moment.

—J’avais besoin d’en discuter avec Vincent, lâche-t-il. Je n’ai pas pensé qu'il en parlerait aussitôt à Jérôme.

— Cela n’est pas grave, j’allais me confier sur ce sujet moi aussi. Et je suis quasi certain que tôt ou tard, Vincent aurait été au courant. 

— Pourquoi n’arrivons-nous pas à le faire, tu crois ? s'inquiète-t-il.

—Parler, tu veux dire ? Je ne pense pas que ce soit tout à fait le cas. Certains sujets sont plus épineux que d’autres. Tu crois que nous avons été trop vite ? 

—Non, dit-il, abrupt. Ni toi ni moi ne voulions attendre plus longtemps. Nous aurions passé notre temps au téléphone ou en aller retour. Je ne sais pas comment l’expliquer. Te savoir ici me rend plus serein. Rien ne m’empêche lorsque je rentre des champs de passer te voir. Cela te semble être un comportement anormal ? 

—Pas du tout. Lorsque je me lève, trouver un petit mot sur la table me plaît. Je n’ai jamais vécu avec mon père, et je n’ai aucun souvenir d’homme chez ma mère.

—Mes parents n’étaient pas très démonstratifs pour ce que je m’en souviens. Il t’a dit quoi Jérôme ? 

—Tu tombes de fatigue. Nous en parlerons demain quand tu auras dormi.

  

Sortir de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant