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Peu de mouvements à l’approche du gîte, il est bien trop tôt.  Fatigué, je ne me sens pas le courage de retourner sur mes pas. J’opte pour le coin détente créé par Vincent et Félix. J’y trouverai un hamac ou un transat pour me reposer une heure ou deux. 

— L’ accueil n’est pas encore ouvert, monsieur. Mais je peux, malgré tout, vous offrir un café et un bout de pain, m'interpelle une voix que je connais bien. 

Je me lève de la position couchée et m'étire. 

— Alex ? 

— Gagné.  Tu es très physionomiste, Vincent. Tu fais encore des veilles de nuit, toi ?  

— Lorsqu'il y en a besoin, oui. Est-ce que Jérôme a oublié de me dire que tu passais ? 

—Non, il a encore toute sa tête. Ce n’était pas prévu du tout.

—Viens à l’intérieur. Avec un bon café noir, tu arriveras peut-être à me raconter tout cela.

Je le suis bien volontiers. Mon corps réclame ce café. Mon esprit, lui, a très envie d’être réconforté. De quoi ? De cette drôle de nuit ? De ce que j'ai ressenti face à cet homme ? Tout se brouille, j’ai besoin d'y réfléchir tranquillement. 

— Ne va pas te faire des films, Vincent. Une semaine où j’ai clairement abusé à tous les niveaux. Trop de pression, peu voire pas de repos m’ont ouvert les portes vers tous les excès. S’il te plait, ne dis rien à Jérôme sur mon arrivée clairement pas triomphante. Il va s’en inquiéter.

— Hum. Nous n’avons pas pour habitude de nous mentir, tu le sais, Alex. Je vais malgré tout garder l’image du clodo affalé sur le transat pour moi. Exceptionnellement. 

— Merci, dis-je en le prenant dans mes bras. 

J’entre derrière lui. Vincent n’est pas né de la dernière pluie. Mes derniers mots ne l’ont pas du tout convaincu. L’idée d’affronter Mathieu m'était insupportable. Il m’aurait poussé à  bout afin que j’explique la raison de mon départ. Opter pour le gîte plutôt que de frapper chez Jérôme n’était pas anodin. Francesca et Félix me connaissent moins. 

Installé dans le coin des marcheurs, Vincent m'a déposé de quoi me restaurer avant de gérer les quelques départs matinaux. Même si je n'ai pas du tout faim, je me force, supposant qu'il me regarde. 

—Félix ne devrait pas tarder. Nous irons à la maison après. Je ne peux pas rester, Francesca n’est pas là aujourd'hui. 

Du Vincent tout craché, il meurt d’envie de savoir si je reste mais il n’est pas du genre intrusif. Mon oncle, Jérôme, aurait été droit au but. Lorsqu'il réapparaît quelques minutes après, je lui emboîte le pas. Il me suffirait de prononcer quelques mots, cela serait sûrement plus aisé de discuter de ce qui me tourmente qu’avec Jérôme pourtant je ne me lance pas.

Malgré l’heure matinale, les volets sont ouverts. Intérieurement, je fais une croix sur l’idée de dormir un peu.

—Je ne sais pas si tu as senti que nous aurions de la visite mais tu as bien fait de te lever tôt. Regarde qui j’ai trouvé devant la porte, plaisante Vincent en me poussant devant lui.

—Pourquoi n'as-tu pas frappé, voyons, me demande mon oncle ? Un chat amoureux m’a réveillé il y a un peu plus d'une heure…

— J’étais chez des copains pas très loin. Je n’avais pas envie de remonter sur Bordeaux tout de suite, ils m’ont déposé pas loin du gîte. 

— A voir ta tête, les vacances ont dû être mouvementées, se moque-t-il. Tu as le temps de prendre un café, bébé ? 

— L’idée était d'ouvrir à Alex pour qu'il pionce en attendant que tu te réveilles. Il va devoir te raconter ses vacances pour la peine et moi je vais en profiter pour rejoindre Félix. Deux bras supplémentaires ne seront pas de trop  quand Valéry va débarquer. 

— D’accord. Viens avec lui quand vous avez fini. Et toi, un café ?

— Vincent m’en a déjà offert un. Me trouver vautré sur un transat dehors n’était pas une bonne idée. Je vais être honnête avec toi, je ne supportais plus les personnes avec qui j’étais. Et je n’avais pas réalisé que j'étais si près d'ici. Quand je l'ai compris, j’ai sauté sur l'occasion. Tu es fâché ? 

— Mais non. Pourquoi tu ne l’as pas raconté à Vincent ? Cela lui aurait évité de jouer le rôle de l’homme de Cro Magnon. 

— Je n’avais pas l’énergie pour cela, tout simplement. Francesca est absente depuis longtemps ? 

—Elle doit rentrer demain. Elle ne change pas, son esprit fourmille toujours d’idées. 

— C’est toi qui dit cela ? me moqué-je. Aurais-tu levé le pied dans tes projets ? 

— J’ai ralenti un peu, oui. Gérer l’association est presque un travail à plein temps. Vincent va régulièrement aider au gîte, il nous faudrait un peu de sang neuf. Mais on s'en moque de cela. Tu ne crois pas qu'il est temps de me dire la vérité, dit-il attrapant mon menton avec ses doigts. 

—Tu vas t'énerver. 

— Tu es le seul membre de ma famille qui compte pour moi. Tu n’as pas l’air d’aller bien et cela m’inquiète en effet.

— C’est un peu de ma faute. Je savais que mon boulot était chronophage. Mon souci est que lors des périodes plus calmes  et il y en a, mon corps ne semble pas comprendre qu'il peut lever le pied. Mes fréquentations sont en général celles de ce milieu : superficielles, dans l’excès et je ne m’y sens pas bien. 

— Et en cherchant hors de ce milieu ?

— Il me faudrait avoir du  temps disponible pour cela ! Bref j’ai opté pour la facilité en rejoignant Mathieu et ses potes.

— Pas étonnant que tu sois dans cet état. Est- il toujours aussi con, vulgaire et homophobe ?

—Nos conversations ont été très limitées. Les quantités d’alcool ingurgitées  plus le reste ne lui permettent pas un lever matinal. Hier, j’ai compris que j'étais arrivé à saturation. Sur un coup de tête, j’ai  appelé un taxi.

Sortir de l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant