Les écorchés - Tome 1 : Protection (55/66 chapitres)

39 - GABRIEL

Un mardi de fin novembre :

Si le mauvais regard de Sohan ne m'a pas inquiété la veille et que sa phrase envers Victor m'a paru ridicule, depuis que mon pote nous a appris que sa mère avait reçu un appel du directeur en personne et qu'il compte le voir, je me dis que j'aurais peut-être dû le voir venir.

— Non mais j'vais pas y aller, souffle Vic en shootant dans un caillou.

Même Tom reste silencieux et autant dire que c'est assez rare. Pourquoi ? Eh bien parce que nous savons tous que lorsque cela touche à sa mère, Vic est prêt à tout. Et justement, là, elle est impliquée dans l'histoire...

Dans la troupe, nous avons tous connu des heures de colle, des menaces de redoublement (surtout Vic puisqu'il est en ES et n'en branle pas une), des entretiens pour des remises en question, des lettres à adresser à nos parents, seulement jamais la mère de Victor n'avait été convoquée alors évidemment, pour notre pote, cela annonce quelque chose de nouveau.

On dirait que le directeur quelque peu laxiste a décidé de changer à l'approche de la nouvelle année. Ce n'est pas ouf comme changement ça...

— Tout ça, c'est la faute de la barbie dérangée ! crache subitement Cassie en rompant le silence.

Je lui envoie un regard noir car je sais qu'elle-même elle sait que c'est faux ce qu'elle dit. Le seul fautif dans l'histoire, c'est ce connard de Sohan. Oui, parce que je suis sûr qu'il est derrière cette annonce.

Sûrement est-il allé se plaindre de s'être fait castagné. Et maintenant le directeur va dire à Vic qu'il ne doit pas user de la violence.

— Et ta mère, elle a dit quoi ? demandé-je tandis que Vic soupire.

Les cernes sous ses yeux sont encore plus marquées que d'habitude et je sais ce que ça veut dire : il a fait nuit blanche et a fumé pour oublier.

— Elle n'a pas beaucoup parlé, mais je sais que ça la stresse et si elle stresse, son cœur...

Il n'a pas besoin de terminer sa phrase. Tout le monde dans le groupe sait ce qu'il veut dire. Sa mère a une santé fragile et depuis son accident, Vic est en quelque sorte son infirmier personnel alors s'il dit qu'il peut y avoir une répercussion sur le bien-être de la femme qu'il aime le plus au monde, c'est que c'est vrai.

— On pourrait peut-être en parler à Manu ? suggère Tom.

Vic et Cassie savent qu'Emmanuelle est flic et d'après le regard du brun, il ne partage pas le même avis. Il faut dire qu'il n'est pas clean sur tous les points alors ça ne jouerait peut-être pas en sa faveur.

— C'est gentil Tom, mais je ne pense pas que ça m'aidera, lâche Vic en quittant enfin le muret.

Sous notre regard, il écrase sa clope sur la pierre puis donne un coup de menton.

— L'heure de la sentence est arrivée, annonce-t-il.

Toute la petite troupe tourne la tête vers la direction qu'il montre et nous voyons un taxi s'immobiliser sur le parking. Le chauffeur sort quelques secondes plus tard et alors que je m'apprête à proposer mon aide, Victor passe devant nous et nous informe qu'il doit y aller.

Trente secondes plus tard, quelques lycéens, qui traînent encore sur le parking, le regardent échanger quelques mots avec le chauffeur. Puis notre pote sort un fauteuil qu'il déplie avec une habitude certaine.

Je sais que c'est la double-peine pour lui. Sa mère est convoquée et a dû se déplacer jusqu'ici, ce qui est assez compliqué pour une personne en fauteuil roulant, et désormais les quelques curieux qui regardent la scène pourront dire que le grand Victor Hark n'est pas si dur à cuir que ça car il prend soin de sa mère. Pour nous, la troupe, les deux peuvent s'allier. Mais pour les autres, je ne suis pas certain.