20 - CHARLINE

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Ce sentiment d'insécurité que vous avez ressenti, vous arrive-t-il de le ressentir à nouveau ? me demande le psychologue.

Assise sur un de ses fauteuils marrons, je me pince la peau de la main. Cela fait déjà dix minutes que je suis là. Car après ma crise de la séance précédente, le professionnel a dit à mes parents qu'il allait avoir besoin de me voir plus souvent.

J'entends le roulage de là où je suis. J'entends le cliquetis de l'horloge derrière monsieur Ronsard, c'est ainsi que s'appelle mon psychologue. J'entends les pleurs d'un bébé, car sa salle se trouve dans un cabinet médical qui accueille aussi un médecin généraliste.

Oui, je le ressens chaque fois que je croise Sohan.

Je n'aime pas devoir prononcer son prénom. Le voir au lycée, c'est largement suffisant et alors que je pourrais profiter des vacances pour l'oublier un peu (du moins la journée, puisque mes cauchemars continuent), je dois revivre, pour la énième fois, ce moment détestable de ma vie.

Et qu'est-ce que vous faites quand ça vous submerge ? continue-t-il.

Je me dandine sur le fauteuil. Ce psychologue perd son temps, quand va-t-il s'en rendre compte ?

J'ai peur, commencé-je en sentant ma gorge se nouer. J'ai froid aussi. Puis j'ai envie de vomir. Ensuite, je ressens de la colère, continué-je en fixant le tapis en face de moi. J'ai envie de pleurer, rajouté-je en sentant les larmes monter. Et enfin je me sens nulle, terminé-je en plantant mon regard dans celui de mon psy.

Voilà, est-il content que je lui ai dit à quel point je me sentais mal à chaque fois que je croise celui que j'ai aimé, puis qui m'a violentée au point qu'un morceau de verre rentre dans ma peau et laisse une trace qui me rappellera toujours combien j'ai craint pour ma vie ?

— C'est bien Charline, me félicite le psychologue.

Dit-il cela parce que cette fois-ci, j'ai réussi à contrôler mes pleurs  et que je n'ai pas commencé à me balancer sur le fauteuil comme une malade mentale ?

— C'est bien de se libérer et de parler sans tabou.

OK, si c'est vraiment ce qu'il veut, alors je vais lui en donner de la révélation !

— J'aimais Sohan et parce que j'ai refusé de coucher avec lui, ça justifiait le fait qu'il me violente ? D'après ses parents, c'est le cas. D'après leurs dires, j'étais une allumeuse. Pourquoi ? Parce que maintenant, porter une jupe avec des talons et mettre du rouge à lèvre pour plaire à son petit ami, ça fait de nous une pute ?

Je crois que le psychologue comprend que ce n'est pas le moment de répondre à ma question, mais qu'il faut au contraire me laisser parler.

— Je suis l'allumeuse, celle qui mérite ce qu'il lui est arrivé ? Vous savez pourquoi Sohan a pu revenir ici ? Parce que lorsque mes parents m'ont amenée au commissariat pour faire une déposition, mes propos n'ont même pas été entendus. Il n'y avait aucune preuve de violence d'après eux. Pas de pénétration car pas de viol. Et la blessure dans mon ventre ? D'après eux, ça aurait pu arriver n'importe quand et n'importe comment.

Je sens la colère m'envahir.

— On n'a pas pu me défendre, car j'étais seule avec Sohan et que personne n'a vu la scène hormis Roman. Et Roman lui, il n'a jamais voulu confirmer mes dires. Parce qu'il a flippé. Il a flippé car les parents de Sohan sont riches et qu'ils paient sa mère.

Oui, Roman est le fils de leur femme de ménage.

— Pas de caméra, une blessure qui apparemment aurait pu être faite de diverses façons, un Sohan doux comme un agneau aux yeux de ses proches et de ses amis. Des gens qui me regardent de travers, parlent dans mon dos, comme si j'étais la brute et non pas la victime. Voilà ce que je vis tous les jours. Voilà les instants qui passent en boucle dans ma tête, chaque fois que je ferme les yeux et tente de dormir. Et maintenant, c'est pire encore. Car il n'y a plus seulement les regards des gens, mais il y a aussi la présence de celui qui a gagné l'affaire avant même qu'elle ne soit commencée. Il est là, tous les jours, dans le même lycée que moi. Il est là, à essayer de venir me parler pour soit-disant s'excuser. Mais je n'en veux pas de ses excuses. Je veux juste qu'il ne m'approche plus et qu'il reconnaisse les faits. Je veux oublier. Je veux que les gens apprennent que je ne suis pas l'allumeuse menteuse qui n'a pas eu le cran de coucher avec son petit ami. Je veux que les gens voient Sohan tel qu'il est. Et je veux qu'on me laisse tranquille.

Les écorchés - Tome 1 : Protection (55/66 chapitres)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant