Corps

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À l'étage, le bruit a affolé Veronica encore dans sa chambre. Isaac accourt auprès des escaliers et se penche là où une barrière en bois prenait place auparavant. Il n'en reste que des morceaux éparpillés sur le parquet de l'entrée. Archie et Marine sortent de leurs chambres respectives avec précipitation. Gabriella est au bord de l'évanouissement, elle tombe à genoux au sol. 

Elle ne peut plus détourner son regard du corps sans vie de son ami. Tous ses membres tremblent et son cœur est affreusement serré. Isaac est le seul à garder son sang-froid et il dévale les escaliers. 

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demande-t-il paniqué.

La jeune femme est incapable de répondre, trop choquée. Elle suffoque, les larmes commencent à inonder ses joues. Le bouclé enserre sa taille pour l'éloigner de la scène mais elle ne le remarque même pas. 

— Viens Gab'. 

Elle lève ses yeux sombres vers lui mais ne dit toujours rien. Les autres membres du groupe assistent à la scène, paralysés, et ne savent absolument quoi dire ou faire. Isaac la tire vers la porte d'entrée pour la forcer à prendre un peu l'air. Il actionne la poignée et tire, mais rien ne se passe. Les cinq amis s'arrêtent subitement de respirer.

— C'est quoi ce bordel ? hurle Veronica en dévalant tout à coup les marches qui craquèlent.

À ce moment, tout s'enchaîne extrêmement vite. La jeune femme arrivée au bas de l'escalier, elle essaie à son tour de forcer sur la clenche. Dans la panique, elle tente même d'ouvrir une fenêtre à proximité avant de réaliser qu'elle n'a pas de poignée. Marine extériorise à son tour en plaquant sa main contre sa bouche afin d'étouffer un hurlement strident coincé au fond de sa gorge. Archie sursaute et détourne les yeux de la scène, fixant désormais la porte de la chambre de Gabriella et s'accrochant à cette vision en haletant. Il est incapable de respirer calmement, envahi par l'effroi.

— Ce n'est pas possible, c'est une blague, hein ? demande Veronica d'une voix tremblante.

Elle se tourne brusquement et s'accroupit à côté de Louis. 

— Qu'est-ce que tu fais ? s'étonne son mari. 

Elle place sa main sur son cou tordu dans un angle bien trop anormal. Veronica fait des études de médecine, elle ne sait que trop bien où on peut prendre le pouls. Et elle comprend rapidement qu'il est mort, elle ne sent aucun battement. Elle ne veut pas reculer, elle ne veut pas y croire, elle veut rester là jusqu'à sentir le signe de vie le plus imperceptible. Ses mains se crispent et ses yeux engorgés de larmes sont brûlants. Gabriella, elle, est incapable de reprendre ses esprits malgré les efforts d'Isaac pour la calmer. Elle aimerait se réveiller, que tout ça soit un vulgaire cauchemar. 

Ce qu'aucun d'entre eux n'a encore vu, ce sont les trois cartes enfoncées dans la poche du jean de Louis ainsi que le petit carnet tombé sous sa jambe droite. Au moins, il n'aura pas souffert longtemps. 

—Il faut qu'on appelle la police, murmure Isaac en un souffle.

Il glisse sa main dans sa veste et tâtonne afin de saisir son portable. 

— Pas de réseau, annonce-t-il défaitiste. 

Paniquée, sa femme se met elle aussi à trembler inlassablement sans pouvoir s'arrêter. Archie parvient peu à peu à se remettre de ses émotions. Il prend sa sœur par le bras et l'entraîne dans sa chambre pour lui permettre de se calmer. 

— Allez dans vos chambres, je m'en occupe, dit-il au reste du groupe.

— De quoi tu parles ? s'étonne Isaac en relevant la tête.

— On ne peut pas le laisser là. Trouvez du réseau et appelez la police.

Le brun acquiesce et emmène Gabriella vers Archie. Elle ne peut s'empêcher de fixer Louis au sol comme s'il allait ouvrir les yeux d'une seconde à l'autre. Veronica, malgré l'angoisse qui s'empare d'elle petit à petit, réussit à suivre Isaac à l'étage. Ils se retrouvent tous les quatre dans la chambre de Marine sans dire un mot. Aucun d'entre eux n'a le cran de faire un bruit.

Archie se retrouve ainsi seul, affreusement seul, dans ce hall d'entrée. Il est terrifié, mais il veut garder son sang-froid pour ne pas faire paniquer tout le monde. Il est également le plus apte à s'occuper d'un cadavre, c'est ce qu'il fait tous les jours avec les animaux morts qu'il trouve. Mais il faut se l'avouer, il n'a jamais été confronté à un humain. Malgré le choc, il sait qu'il doit au moins le couvrir pour éviter à chacun cette vision d'horreur. 

Il va dans la première salle de bain qu'il trouve et ouvre une vieille armoire en bois dans un coin. Il saisit quelques serviettes auparavant pliées et retourne vers son ami. En retenant un puissant haut-le-cœur, il s'accroupit. C'est là qu'il remarque les trois cartes et le carnet. Sans réfléchir, il se contente uniquement de les prendre et les poser plus loin. Il pose son index et son majeur contre le cou de Louis dans un ultime élan d'espoir, si seulement il émettait un simple battement de cœur. 

— Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? se murmure-t-il plus pour lui-même que pour son ami.

Archie baisse la tête et ses muscles se relâchent peu à peu. Il faudrait qu'il se dépêche, il risque de s'évanouir s'il reste aussi près de ce corps froid. Trop d'émotions. Trop de choc. Trop de circonstances. 

Ce maudit manoir.

Le jeune homme étend une des serviettes au sol avant de couvrir le cadavre avec le reste. La chambre du rez-de-chaussée à droite n'est pas utilisée, il tire donc son ami sur le parquet glacial de l'entrée jusqu'à ladite porte. En sueur, il est maintenant au bord de l'inconscience. Sans plus s'attarder, il sort. Il y a du sang, tellement de sang. Il ne pensait pas qu'il y en aurait autant, ni que la traînée rouge menant au mort serait aussi sombre. Il va falloir qu'il nettoie ça malgré le dégoût que ça lui provoque. Son être entier est pris de violents frissons, le visage blême de Louis flottant inlassablement dans ses pensées. 

Il décide d'abord de récupérer les cartes. Le Colonel Moutarde, le hall, la matraque. Il ne sait pas ce que ça signifie, mais il sait que ça ne présage rien de bon. Il reporte son attention vers le carnet et feuillette les toutes dernières pages. Les quelques mots qu'il lit glacent son sang. 

« Aujourd'hui, je vais tuer Isaac Williams. »

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