Cluedo

Abel et Caïn

Gabriella décide de s'isoler pour expliquer leurs péripéties au manoir devant son caméscope. Marine et Veronica restent dans la salle à manger, et Archie décide d'aller chercher leurs affaires au premier étage. Il a peur de se faire tuer, il faut l'avouer, mais il ne veut pas inquiéter sa sœur en manifestant son angoisse. Il montre alors les marches avec précaution, enjambant avec difficulté les obstacles qu'il avait disposés pour les barricader. 

Il se rend ensuite dans chacune des chambres. Il récupère les vêtements de ses amies qu'il enroule en une pile désordonnée. Il les jette par-dessus la rambarde afin d'avoir les mains libres. Il doit encore prendre ses propres affaires et le matériel de photographie de Marine. Selon elle, le briser et utiliser les débris comme arme pourrait être utile. Elle fera néanmoins attention à garder la pellicule sur laquelle tous ses souvenirs sont gravés. Elle se rappelle encore photographier son frère dans la voiture, pendant le trajet. Ils auraient dû rester là-bas. Sur ce coin de route, en panne. Ils n'auraient pas dû aller dans ce manoir. 

Archie entre dans sa chambre et se met à fouiller. Il trouve rapidement quelques habits. Ils ont beau mourir de peur, à la merci d'un assassin caché dans l'habitation, ils ne veulent pas rester dans des habits si sales. Archie spécialement, encore souillé du sang de Louis qu'il a dû nettoyer la veille. Le garçon balance tout ce tas de tissu et part à la recherche de l'appareil de sa sœur. Il regarde sous le lit, dans les tiroirs, dans les tables de chevet, incapable de se rappeler l'emplacement qu'elle lui a indiqué plus tôt. Il entend un craquement du parquet, lui provoquant un violent sursaut. Le jeune homme se tourne vers la porte, faisant tomber au passage un sac caché dans une des armoires. 

Au même moment, Marine réalise son erreur. Elle sait très bien ce qui se trouve à quelques centimètres de son matériel. Sans explication pour Veronica, elle court à l'étage. Elle enjambe les marches, sautant au-dessus de la dernière tant elle se précipite. Elle arrive en trombe et tombe nez à nez avec son frère. Il a un sac plastique dans la main, un air furieux sur le visage. 

— Tu m'avais dit que tu avais arrêté, commence Archie. 

— Ce n'est pas ce que tu crois, se justifie Marine.

— Ah oui ? Parce que tu n'es pas juste une putain de droguée ? crie-t-il en la poussant en arrière. 

— Ce n'est pas ma faute.

— Vraiment ? C'était peut-être toi depuis le début, en fait. Tellement en train de planer que tu n'as même pas remarqué que tu les butais. C'est ça ? Je me trompe.

Archie fulmine, et pendant qu'il l'accable de reproches, il continue de s'avancer. Marine est désespérée, elle sait très bien qu'elle est coupable. Il a peut-être raison après tout, sa toxicomanie l'aurait emporté et elle aurait sombré dans le meurtre. 

— Je te jure, ce n'est pas moi. Je n'aurais jamais pu faire ça, geint-elle.

— Je suis bien placé pour savoir que tu n'es pas toi-même dans ces moments-là, hurle-t-il désormais. 

Ce vacarme attire l'attention de Gabriella et Veronica, encore au rez-de-chaussée. Elles croient toutes les deux qu'il s'agit d'une nouvelle attaque. En voyant ce qu'il se passe réellement, elles restent horrifiées. Elles voient toutes les deux le frère et la sœur à quelques pas des escaliers. Veronica tente de les avertir mais il est déjà trop tard.

— Tout ça, c'est ta faute, rugit Archie en avançant encore un tout petit peu. 

Marine bascule inévitablement en arrière. Mais elle ne peut pas se rattraper. Une corde a été tirée sur la plus haute marche. Une corde qu'elle n'a pas remarquée en montant, car elle l'a survolée. Une corde qui empêtre sa cheville et la restreint de tout mouvement. Les trois autres voient avec horreur cette chute qui semble ne jamais s'arrêter. Marine ne crie pas. Elle regarde son frère dans les yeux, un regard empli d'amour et de haine. Un regard déjà mort, mais si vivant à la fois. 

Les instants qui suivent sont des plus déchirants. Archie s'effondre à genoux en voyant le corps de sa sœur tomber sans cesse, la tête droit sur le rebord des escaliers. Le cadavre gisant maintenant aux pieds des deux autres filles. Il l'a tuée. Sa colère l'a tuée. Il a commis le tout premier crime, le fratricide. Il le regrette, mais c'est trop tard. Il se précipite en bas des marches pour rejoindre Marine. Il passe sa main dans ses mèches blondes. Il pleure abondamment. 

— Je suis désolé, murmure-t-il la gorge nouée. 

Il n'arrive pas à y croire. Il n'a pas pu faire ça, c'est impossible. Il ne peut pas être le responsable de la mort de sa propre sœur. Il ne peut pas être le meurtrier.

— Je t'aime, chuchote-t-elle en fermant les yeux. 

Lorsque la vie quitte son corps fatigué, son frère pousse un cri. Un cri empli de douleur et de culpabilité. Gabriella et Veronica, choquées, restent figées et regardent la scène avec horreur. Archie serre le corps de Marine dans ses bras. Il ne veut pas la lâcher. Il ne veut pas la laisser partir. Pas comme ça. Pas maintenant. 

Archie est Caïn et Marine est Abel. Le meurtre a été commis, la trahison a été fatale. Tout est très biblique pour eux. Reste à savoir si elle atteindra un Paradis maintenant qu'elle n'est plus. Leur destin est scellé, ils devaient s'y attendre. Ils finiraient forcément par s'entretuer. On ne peut vivre indéfiniment sans goûter au fruit défendu. La tentation était bien trop forte, et la colère était bien trop puissante. Ce n'est qu'un enchaînement malheureux de péchés qui ne sont restés impunis.  

Le garçon est incapable de se relever, écrasé par sa peine. Il s'en veut tellement. Il aimerait mourir sur le champ, rien que pour arrêter cette souffrance qui emprisonne son cœur. Il a mal. Il est responsable. C'est lui le criminel et personne d'autre, en cet instant précis.