Cluedo

Mort

Qu'y a-t-il après la mort ? Qu'est-ce que Louis est par exemple en train d'expérimenter ? Son cerveau ne marche plus, son cœur ne bat plus, ses muscles ne bougent plus. S'il possède réellement ce que l'on aime appeler une âme, où est-elle ? 

Cette notion d'Après reste vague, pour tout le monde. On a beau entendre des médiums parler, on ne veut pas les croire. Et si nous avons déjà fait la rencontre d'un esprit perdu, rien ne nous garantit qu'il ne s'agît d'une hallucination. Comment savoir tant que nous ne l'avons pas vécu ? La mort peut-être si terrifiante. L'inconnu fait peur, ne pas savoir à quoi s'attendre est la pire des tortures.

Certains disent avoir vu une lumière blanche, d'autres n'ont vu que le vide. Notre cerveau est peut-être capable de façonner une nouvelle réalité, propre à chacun. Ou alors, ce n'est juste rien. Nous arrêtons de fonctionner. Nous ne pensons plus. Le propre même de la vie s'efface, plus aucun sentiment n'est capable de faire surface. Lorsqu'elle décide de nous quitter, elle emporte tout avec elle. Peut-être qu'il existe une autre vie après celle-ci. Différente, certes, mais il y aurait toujours quelque chose. Ce serait la possibilité la plus plaisante. Personne ne souhaite tout perdre. Même les plus fous, même ceux ayant vécu les pires atrocités, même ceux qui veulent en finir ne veulent pas tout laisser tomber. 

On veut garder son passé pour en faire une force. Pour montrer que peu importe là où nous sommes passés, nous avons tenu car nous sommes plus forts. Et ceux voulant l'oublier le regretteront lorsqu'ils verront leur existence s'améliorer, leurs problèmes s'évaporer. Il est difficile de croire cela, mais tout finit par changer d'une manière ou d'une autre. Le passé n'est qu'un moment de la vie, un passage obligatoire, qu'il soit joyeux ou non. Il peut varier selon les personnes, certes, mais il reste inévitable qu'on le veuille ou non. Et lorsqu'il est difficile de s'imaginer un futur, le passé est déjà derrière soi. 

On veut garder ses sentiments pour en faire un rempart. Les émotions nous protègent. Elles nous permettent de nous exprimer, de vivre ce qu'est l'humanité. Et ceux voulant les résorber le regretteront au moment où tout reviendra. Car ils finissent toujours par revenir. Il est même pire de voir toute sa peur, toute sa tristesse, toute sa colère autrefois réprimée exploser en un instant. On peut croire que c'est la bonne solution, comme le pensait Veronica en se coupant de tout sentiment. En réalité, cela n'amène qu'à un désespoir plus grand. 

On veut garder sa mémoire pour en faire un chemin. Lorsqu'on se souvient de ce qu'on a vécu, on sait ce qu'on doit éviter de faire. On sait comment agir face aux aléas de la vie. Pour ceux incapables de se rappeler, la vie ne devient qu'un moment. Tout ce qui a été appris s'efface, on retombe à un stade critique, où plus rien ne peut être réalisé, car nous avons oublié comment. Les souvenirs sont les piliers de nos vies, ils nous permettent d'exister. Ils sont notre passée, et ils façonnent nos sentiments. Une vie sans souvenirs est une vie sans force à laquelle s'accrocher ni rempart derrière lequel se cacher. 

Mourir, c'est renoncer à tout cela. Personne ne veut ça. On veut toujours se cramponner à quelque chose, par égoïsme ou par désespoir. 

Personne ne sait ce qu'il y a après. Tout le monde veut savoir. Mais comment ? Cela reste un mystère. Louis le sait déjà, notamment. Mais il est bien trop tard pour qu'il nous le dise. A-t-il souffert ? Après toute une vie de mépris, de douleur, de regrets et de mauvais choix, est-il parvenu à partir en paix ? A-t-il senti lors de sa mort chaque os de son corps de briser ? A-t-il senti le coup violent provoqué par la barre de fer qu'il tenait quelques minutes plus tôt dans sa main ? A-t-il senti l'humidité imprégner ses habits tandis que son propre sang recouvrait le bois sur lequel il gisait ? A-t-il senti la main de Veronica sur son cou, comme il aurait aimé la sentir toute sa vie ? A-t-il senti les mouvements d'Archie le déposant sur une serviette ? A-t-il senti le parquet glisser sous son cadavre alors que son ami le traînait jusqu'à la chambre ? A-t-il senti l'air s'échapper de la pièce pendant qu'il déposait le corps inanimé d'Isaac ? Qu'a-t-il senti après sa mort ?

Peut-être que la mort est paisible. Peut-être qu'il ne s'agit que d'un voile nous recouvrant avant de nous éteindre tendrement. Peut-être que ce n'est qu'un voyage comme un autre, comme une petite barque fendant une mer d'huile. Peut-être que ce n'est qu'une sensation comme une autre, comme une brise d'été s'essoufflant doucement sur un visage. Peut-être que ce n'est qu'un moment comme un autre, semblable à n'importe quel souvenir réservé à notre propre mémoire. Peut-être que ce n'est qu'une vision comme une autre, comme admirer une route défiler lors d'un trajet en voiture. Peut-être que ce n'est qu'un son comme un autre, comme une musique grésillant soudainement à la radio. Peut-être que ce n'est qu'un goût comme un autre, comme un ressenti aigre sur la surface du palais. Peut-être que ce n'est qu'un toucher comme un autre, comme une couverture délicate en cuir marron. Peut-être que ce n'est qu'une odeur comme une autre, comme la putréfaction d'un corps enfermé dans une pièce depuis bien trop longtemps. 

Le mystère que représente la mort reste insoluble. À un moment donné, elle finit toujours par nous rattraper, n'est-ce pas ? Pour certains plus tôt que les autres. Pour les quatre jeunes gens encore vivants dans ce manoir, il est sûr qu'ils obtiendront une réponse à cette grande question. Il reste cependant à déterminer qui leur donnera. Étrangement, le tueur ne sera pas le seul à l'apporter. Une tragédie, bien plus grave et symbolique s'apprête à bouleverser leur calme olympien. 

Évidemment, cela ne reste qu'un message d'avertissement qu'ils ne recevront jamais.