Journal intime

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« Nous sommes le 14 mai 2006. Ma chère Veronica vient de m'offrir ce journal pour mon anniversaire. Elle est tellement gentille avec moi. Je regrette tellement qu'elle soit coincée avec Isaac. Il ne la traite pas assez bien. Il ne sait pas autant de choses que moi. Il ne connait pas les moindres détails de la vie de cette femme. Il ne sait pas que si elle a peur du noir, c'est à cause d'une mauvaise blague datant de la maternelle, qu'elle aime se servir un café avec deux sucres pendant sa pause mais sans sucre quand elle révise ses examens, qu'elle adore se balader en forêt uniquement pour l'odeur de la terre fraichement arrosée par la pluie, que ses sourcils se froncent à chaque fois qu'elle sent une odeur d'encens parce qu'elle déteste ça par-dessus tout. Non, il ne sait pas tout ça. Elle, elle ne sait pas à quel point je l'aime. Je ferais tout pour elle, mais elle n'a d'yeux que pour lui. 

De mon côté, les choses ne sont pas faciles. Je pense que je vais bientôt perdre mon travail. Certains commencent à répandre des rumeurs. Selon quelques clients, je consommerais même de la drogue au travail. Ils ont peut-être raison. 


Nous sommes le 20 mai 2006. Au cours des 6 derniers jours, je crois que j'ai un peu trop consommé. Je me souviens vaguement des soirées à répétition et des lignes blanches étalées proprement sur ma table basse. Elle dit que ça me rend fou et qu'elle va en parler aux autres si je n'arrête pas mes conneries tout de suite. Mais il ne faut surtout pas qu'elle prévienne Veronica. Ma douce Veronica ne supporterait pas, elle ne supporterait pas de savoir que j'ai recommencé et qu'il est maintenant impossible de m'arrêter. Je suis bien trop loin pour revenir sur le droit chemin. Ça doit être dans ma nature. Après tout, c'est ce que me disait mon père à chaque fois qu'il rentrait totalement ivre à la maison et qu'il m'accusait de tout et de rien.


Nous sommes le 22 mai 2006. Je n'ai aucun souvenir de hier. Je me suis réveillé ce matin avec une rangée de couteaux disposés consciencieusement sur la table basse. Et une photo de notre groupe d'amis déchirée. Je ne sais pas à quoi j'ai bien pu penser toute cette journée. Vingt-quatre heures effacées de ma mémoire. Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive. Elle a peut-être raison, elle aussi. Ça me rend fou.


Le 23 mai 2006. Il est trop proche d'elle. Elle doit être mal à l'aise, j'en suis absolument certain. C'est un mauvais mari. Il ne lui accorde pas l'attention qu'elle mérite. Je lui ai promis, précieuse Veronica, que je l'aiderai à s'en sortir. Elle m'a regardé étrangement mais je suis sûr que c'est à cause de la présence d'Isaac. Elle a dû avoir peur qu'il nous entende. Il était dans la pièce voisine. Oui, c'est ça. J'en suis sûr. Sûr et certain.


Nous sommes le 30 mai 2006. Une semaine vide de sens. Je ne l'ai presque pas vue, peut-être qu'elle m'évite. Ou peut-être qu'Isaac a compris mes intentions et veut m'éloigner d'elle. Je vois clair dans son jeu. Il est malin. Il a peur. Oui, il craint que je réussisse à la libérer de son emprise. Je vais la récupérer et la sortir des griffes de ce monstre. Je ne la laisserai pas tomber. Cela ne s'arrête pas là. Il m'a raconté quelque chose aujourd'hui. Il veut nous emmener à ce stupide manoir. Un nid à touristes, plus une attraction qu'autre chose. Le fameux Manoir du massacre de 1998. Moi, je n'ai pas peur de ce tueur. Il est mort, de toute façon. Je ne vois pas pourquoi je devrais avoir peur d'un mort. Il faudrait être fou, n'est-ce pas ? Le voyage a été fixé à la semaine prochaine. Et évidemment, tout le monde a adoré cette idée. Je suis donc obligé de les rejoindre pour ne pas passer pour le rabat-joie du groupe. Même s'ils le pensent tous déjà.


Nous sommes le 1er juin 2006. Nous partons demain, et je sens que ne serai encore une fois mis à l'écart. Ça fait du mal de les voir si soudés. Ils ne veulent pas m'accepter, mais ils demandent toujours à ce que je sois là pour eux. Pour que j'écoute leurs problèmes. Mais peu importe si les problèmes de Louis sont plus graves. Peu importe que Louis aille mal aussi, il faut qu'il écoute sans broncher parce que c'est son rôle dans le groupe. Après, on ose me demander pourquoi je suis comme je suis. Ouvrez les yeux, chers amis. Ce n'est pas si simple d'être le mouton noir. C'est un fardeau que je suis le seul à porter. 

Toute ma vie, j'ai dû le faire. Le fardeau d'être le fils raté, l'ami drogué, le voisin apeuré. Jamais on ne m'a vu comme l'enfant délaissé, le garçon rejeté ou le collègue blessé. 


2/06/2006. Nous sommes dans la voiture. Je ne les supporte plus. Ils ont mis une musique au volume maximal et on ne cesse de me rabâcher que je gâche l'ambiance. Je n'aurais jamais dû venir. Mais c'est trop tard. Et au moins, ce trajet m'a permis de penser. Si Veronica me repousse, c'est à cause de son mari qui est en travers de notre chemin. Je sais que ce que je veux faire est mal. Tant pis, je ne peux plus la voir avec lui. Je dois m'en occuper une bonne fois pour toute, faire passer ça pour un accident. Le pousser dans les escaliers. 

J'ai peur. 

J'ai peur de tout perdre. Si quelqu'un d'autre que moi lit ces lignes, c'est que je suis sûrement derrière les barreaux, accusé du meurtre de mon "ami". En réalité, je l'aurais encore, elle. Elle pourrait enfin réaliser de quoi je suis capable pour la rendre heureuse. Oui, Veronica, j'ai été capable de me débarrasser de lui pour que tu sois enfin libre. C'est décidé.

Aujourd'hui je vais tuer Isaac Williams. »

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