Tout d'un coup, quelque chose se passe. Un souvenir émerge dans son esprit. Gabriella se retrouve paralysée par ce moment. Elle saisit enfin d'où vient sa haine profonde envers Veronica. Un sentiment qui était resté enfoui si longtemps, enterré par une amnésie soudaine. L'italienne avait vécu l'enfer le temps d'une nuit. Une nuit de novembre plus précisément. Une soirée arrosée, un peu trop même. Gabriella était assise sur un canapé quand Veronica lui offrit un verre. En acceptant, elle ne se doutait pas des conséquences. La future mariée à l'époque se cherchait. Elle voulait comprendre son antipathie. Elle voulait savoir jusqu'où elle pourrait aller avant de ressentir quelque chose de vrai. Elle avait alors placé sa main sur le genou découvert de son amie. Gabriella ne comprenait plus vraiment ce qu'il se passait. La musique devenait assourdissante et lointaine à la fois. Elle sentait son corps perdre de sa vivacité. Elle voyait du coin de l'œil les gens danser dans le flou de la pièce. Elle sentait son souffle chaud de plus en plus rapide tandis que les doigts de Veronica se faufilaient toujours plus haut. Son amie avait par la suite saisi son poignet et l'avait traînée à l'étage. L'italienne se souvient de ses vêtements au sol. Elle n'avait pas encore réalisé ce qui lui arrivait.
— Veronica ? Qu'est-ce qu'il se passe ? avait-elle alors demandé avec confusion.
— On s'amuse, tout va bien. Pense à la fête.
L'étudiante avait ensuite caressé son corps des manières les plus obscènes qu'il soit. Elle avait continué longtemps pour obtenir ce qu'elle voulait. Après un certain temps, la journaliste avait arrêté de se défendre. Elle ne pouvait plus bouger, elle n'en avait plus la force. Elle sentait toujours la légèreté de ses phalanges. Le brouhaha en arrière-plan. La lumière légèrement tamisée, comme si elle avait tout prévu. Veronica aurait pu faire cela de cette manière. Son esprit dérangé aurait pensé que c'est normal. Au fond, elle est persuadée de faire la bonne chose. Mais lorsque Gabriella criait, lorsqu'elle se débattait, lorsqu'elle se tordait dans tous les sens, lorsque son visage se déformait, n'aurait-elle pas dû comprendre ?
— S'il te plaît, murmurait-elle.
Veronica avait placé sa main sur sa bouche pour la faire taire. Elle ne voulait plus entendre un seul son sortir de sa bouche. Elle voulait utiliser son corps à sa guise, sans protestation. Elle était devenue le persécuteur que tout le monde redoute. Gabriella avait perdu connaissance quelques minutes après. Elle s'était réveillée seule dans un lit encore humide. Elle n'osait pas faire un mouvement, de peur d'être paralysée à nouveau. Elle craignait de ne plus sentir ses jambes en essayant de les relever. Elle était restée là de longues minutes, peut-être une heure entière. Lorsqu'elle avait trouvé la force de s'extirper des draps, elle était tombée. Son corps chutant lourdement au sol lui rappelait l'écho des pas de Veronica quand elle l'emmenait ici. La rugosité du tapis lui rappelait la surface de ses doigts légèrement calleux. Elle n'avait toujours pas remarqué qu'elle rampait encore nue sur ce sol. La porte s'était ouverte. La femme était revenue. Veronica l'avait portée, assise et rhabillée. Gabriella n'avait pas réagi. Elle fixait le vide avec une expression neutre, incapable de résister. Elle se sentait à nouveau salie par sa propre amie. Elle n'aurait jamais pensé que cela pourrait lui arriver, encore moins par elle.
Le lendemain encore, Gabriella était de retour chez elle. Elle n'avait parlé à personne de cela. Qui la croirait de toute manière ? Une femme qui en agresse une autre. Ils penseraient à une blague. Ils diraient qu'elle n'assume pas son fantasme. Ils riraient en la voyant pleurer toutes les larmes de son corps, fantasmant cette scène sans comprendre la gravité de la situation. Elle avait donc continué de vivre normalement. Du moins, comme une personne confrontée à une telle chose. Gabriella passait des heures sous la douche, frottant chaque parcelle de sa peau pendant des heures. Mais à chaque friction, elle sentait à nouveau le toucher de Veronica. Elle se savonnait alors en boucle, sans réellement se sentir propre. Elle allait jusqu'à presque arracher son épiderme pour se délester de la sensation continue. Elle n'avait plus jamais porté de robe non plus. Plus jamais elle ne voulait sentir le corps de quelqu'un contre le sien. Elle n'avait plus jamais exploré le domaine de la sensualité. Elle s'était enfermée dans une chasteté forcée.
Un jour, elle découvrit une chose bien pire. Elle qui pensait avoir déjà subi la pire des tortures. Elle ne sait plus réellement comment, mais elle avait entendu Veronica parler. Après s'être évanouie à cause de la drogue, son amie avait ramené quelqu'un d'autre. Archie avait rejoint la femme. Et bien heureusement, il n'avait daigné la toucher. Il avait plus de morale que l'autre, étonnamment. Mais le résultat reste le même. Il n'a rien fait mais il savait. Il savait ce qui lui était arrivé, il savait ce qu'elle venait de vivre et il savait qu'elle ne s'en remettrait pas. Il n'a jamais cherché à la soutenir dans cette épreuve. Chaque jour, Gabriella se sentait de plus en plus salie. Elle s'en voulait d'avoir accepté ce verre. Elle s'en voulait d'avoir cédé. Elle s'en voulait d'être restée immobile. Elle s'en voulait de n'être qu'un objet.
Si seulement quelqu'un avait été là pour elle, jamais elle n'aurait pensé de telles absurdités. On lui aurait montré qu'elle est la victime dans l'histoire. On lui aurait montré que Veronica est la plus vile des créatures. On lui aurait montré que tout pouvait s'arranger. Mais personne ne l'a fait, et c'est pour cette raison que Gabriella s'était persuadée de les avoir tués. Par pure vengeance, pour punir leur trahison. Sa haine était si forte, elle aurait pu le faire. Qui d'autre pourrait leur en vouloir autant ? Qui pourrait les châtier à ce point ? Quelqu'un qui visiblement a souffert de la même manière. Même si cette douleur est indescriptible. Incomparable. Unique. Une sorte de dégoût des autres mais également de soi-même. On se sent souillé à l'intérieur comme à l'extérieur.
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Cluedo
Mystery / ThrillerNous sommes le 2 juin 2006. Veronica, Isaac, Archie, Marine, Gabriella et Louis décident de se rendre au célèbre manoir du Massacre de 1998. Huit ans après le drame, la bâtisse n'est plus qu'un lieu touristique. Mais lorsque les six amis commencent...