Cluedo

Monstruosité

Gabriella décide qu'il est temps d'aller chercher son caméscope. Après avoir tout raconté face caméra, elle l'avait placé dans l'entrée. Ainsi, quiconque passerait devant serait capturé par l'objectif. La jeune femme souhaite simplement relater leurs découvertes. Elle sort de la pièce. Cela lui permettra de prendre un peu l'air et de se calmer. Elle frémit en voyant le corps de Marine qui n'a pas bougé. Peut-être devrait-elle la couvrir, juste pour ne plus voir ce tableau d'horreur. De toute façon, ça ne changerait pas grand-chose. Elle le fera après. Elle saisit alors la caméra et s'isole dans une pièce voisine. S'il arrive quelque chose à ses deux amis, elle les entendra. Du moins, c'est ce qu'elle croit. D'un endroit à l'autre, le son se retrouve vite étouffé par les murs en bois. 

Elle place ainsi son caméscope devant elle et parle des cartes. Elle essaie de comprendre ce qui pourrait motiver le tueur, pourquoi avoir placé un piège pour tuer Marine. Pourquoi elle ? C'est alors que la réponse lui éclate au visage. Elle comprend en un instant leur erreur. La corde ne visait pas la blonde. Elle n'était pas censée monter. Seul Archie avait cette mission, et il n'aurait jamais dû trouver le sachet de sa sœur. Gabriella sort de la pièce, caméscope toujours en main et court auprès de ses amis. Mais c'est déjà trop tard. Devant elle s'offre la vision d'une monstruosité sans pareille. Un corps dont la vie a été ôtée avec violence. 

Archie est là, par terre. Un couteau à proximité, rouge de sang. C'est une véritable boucherie. Ses intestins déchirés menacent de couleur en dehors de son enveloppe corporelle. La chair est fendue jusqu'à l'os, chaque artère sectionnée, chaque nerfs découpés, chaque fibre charcutée. Il a visiblement tenté de se défendre, ses deux bras encore légèrement tendus. Le liquide qui s'écoule de chaque ouverture sur son abdomen est toujours chaud. Ce rouge est si sombre, si opaque, si impur. Il n'est qu'une viande traitée à l'abattoir. Sa bouche entrouverte laisse s'échapper un filet de salive et de sang. Dans sa gorge sont enfoncées trois cartes. Toutes tachées et salies. Gabriella hurle, elle recule avec effroi. Elle plaque sa main devant ses lèvres pour retenir le haut-le-cœur enfermé dans sa poitrine. Elle sent des poumons se comprimer, une sensation très étrange. Elle pleure inconsciemment et tremble inlassablement. Le choc qui l'occupe est dévastateur. Comment réagir face à une telle violence ? Sa gorge se noue. Elle est incapable de détourner ses yeux de ce cadavre sauvagement massacré. Elle n'ose même pas bouger, et elle souhaiterait crier une nouvelle fois. Mais seul un son étranglé parvient à sortir, elle se retrouve piégée de son propre corps. Une pensée l'envahit soudainement. Où est Veronica ? 

Gabriella comprend avec horreur que son amie est la responsable. Qui d'autre ? Qui d'autre serait capable d'un tel meurtre ? Concrètement, elle la soupçonnait il y a quelques minutes. Elle n'arrive pas à se dire qu'elle est restée tant de temps auprès d'une tueuse. Et même si elle ne connait pas son motif, elle sait très bien qu'elle pourrait le faire sans problème. Veronica a toujours été antipathique, elle n'a jamais aimé personne, voilà tout. Peut-être que ça l'amusait de manipuler les autres. Peut-être qu'elle appréciait les voir souffrir. Elle n'est qu'un monstre. Un monstre cruel et sans cœur. Si Gabriella la trouve, elle se promet de lui faire payer. Elle se fiche des conséquences. Tout ce qui compte pour elle, c'est de mettre fin à la vie d'une telle monstruosité. Elle veut voir la vie s'éteindre tout doucement dans son regard. Elle veut étouffer son dernier souffle entre ses mains. Elle veut briser ses derniers espoirs de survie. Elle veut vivre avec la satisfaction d'avoir vengé ses amis. 

Elle jette un nouveau coup d'œil à Archie. Toujours avec le dégoût le plus total, elle se dit qu'elle doit récupérer les cartes. Elle saisit donc précautionneusement les bouts de papier. Ses doigts se retrouvent immédiatement tachés de sang. Elle réprime de nouveau un violent haut-le-cœur. Elle lit ce qu'il y a marqué dessus. La cuisine, le poignard et le professeur violet. Elle sait déjà qu'en se rendant dans la salle à manger, ce qu'elle fera dans quelques instants, elle verra le pion violet renversé. En retournant machinalement les cartes, elle remarque trois syllabes, une pour chacune d'entre elles. 

"hi"

"Tra"

"son"

Elle les réorganise et lit le mot dans l'ordre. 

"Trahison"

Elle sait très bien que rien d'autre n'était marqué sur les autres. Mais pourquoi ce mot ? Cela n'a aucun sens, surtout si Veronica est la tueuse. Pourquoi pourrait-elle se sentir trahie ? Rien de tout cela est logique, et plus elle y réfléchit, plus Gabriella se sent perdue. Elle aimerait tant savoir ce qui a pu motiver son amie à faire tout ça. À des gens innocents en grande majorité. Louis était le seul réellement mal intentionné envers elle. Les autres n'étaient que des personnages de second plan pour elle, non ? C'est comme cela que pensent tous les monstres. 

Par acquis de conscience, Gabriella décidé d'aller voir la salle à manger. Peut-être que la tueuse lui a laissé un indice de l'endroit où elle se cache. Néanmoins, toutes ses convictions s'effondrent comme un château de cartes en une fraction de seconde. Un meurtre plus violent que le précédent s'offre à ses yeux écarquillés. Elle tombe. Ses jambes, tous ses muscles même, ne fonctionnent plus correctement. Comment est-elle censée tenir encore debout tandis que son monde s'écroule autour d'elle. Tout ce en quoi elle croyait vient de s'effondrer. Elle ne sait même plus quoi penser. Comment cela est-ce possible ? Était-ce bel et bien quelqu'un d'autre ? Quelqu'un qui appréciait juste les voir s'accuser entre eux ? Quelqu'un d'assez sadique pour ruiner leurs vies sans raison ? 

Mais la vérité est sûrement bien plus évidente, et bien plus sombre. Si Veronica est morte, il semble ne rester qu'une seule option. Une seule personne qui pourrait les avoir tous tués. Une personne qui était suspecte et qui apparemment était la véritable tueuse.