Cluedo

Cartes

Le poison et le bureau. Voici les cartes qu'Archie a retrouvées dans la veste d'Isaac. Après s'être souvenu des cartes que Louis possédait, il a directement couru dans la pièce où se trouvait son cadavre. Si le tueur s'était amusé la première fois à glisser des cartes dans la poche de Louis, il l'avait sûrement fait également pour Isaac. C'est ce que s'est dit le taxidermiste. En ouvrant la porte, il avait d'abord frissonné en découvrant que la lumière ne marchait plus. Il s'était avancé à tâtons dans la chambre et avait trouvé la veste de son ami. Il a immédiatement senti le papier effleurer ses doigts et est parti avertir les deux autres filles. Il leur a raconté comment il les avait trouvées.

— Pourquoi il fait ça ? C'est quoi le rapport ? se demande Marine.

— Attendez, Louis est mort de sa chute, mais j'ai trouvé ça, explique Gabriella en brandissant le barreau de fer. 

— Et parmi les cartes qu'il avait, il y avait la matraque, complète Veronica.

— Il est mort dans l'entrée, d'où la carte du hall, termine Marine qui réalise peu à peu.

Ils se regardent tous à tour de rôle, saisissant qu'ils avaient compris quelque chose d'important.

— Mais qu'est-ce que ça veut dire le Colonel Moutarde ? questionne-t-elle ensuite.

Gabriella se précipite dans la salle à manger, provoquant l'étonnement des autres. Ils la suivent en courant toujours sans savoir ce qu'elle a en tête. Une fois dans la pièce, elle se penche sur le jeu de Cluedo laissé sur la table après leur partie. C'est ici que tout a commencé, et que tout se finira. Deux pions sont renversés : le jaune et le vert.

— Le jaune. Le colonel Moutarde, le pion de Louis. Les trois cartes représentent qui a été tué, où et comment, déclare l'italienne avec fierté. 

— Gab' tu es un génie. Comment on a fait pour ne pas le remarquer avant ? réplique Archie avec consternation.

Ils semblent soulagés d'avoir élucidé cette part du mystère. Pourtant, ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Ils sont loin d'avoir tout résolu. Ils n'ont même pas encore relevé qu'Isaac n'avait que deux cartes avec lui. La vérité, c'est qu'ils ne s'en rendront compte que bien trop tard. Quel dommage. Les réponses étaient sous leurs yeux, ils auraient pu s'en sortir. C'est quelque chose d'atroce à réaliser. Leur porte de sortie était accessible, ils n'avaient qu'à lever le regard pour l'apercevoir. Ils ont malencontreusement choisi de porter leurs œillères, incapables d'accepter la vérité qui s'offrait à leurs yeux. 

Tout a commencé autour d'un jeu de Cluedo, il y a huit ans. De la même manière, les six amis s'étaient rassemblés autour du plateau et avaient perdu la vie peu de temps après. Personne d'autre que le tueur n'est au courant de cette histoire. Il a sans doute souhaité répéter l'histoire. Une sorte de jeu tordu pour faire comprendre que la vérité n'est pas celle à laquelle tout le monde croit. Elle est bien plus complexe, bien plus tordue. Et on peut être assurés que c'est ce que voulait faire le meurtrier. Les prévenir, les informer, les rassurer, même. Qui sait ce qui peut se cacher dans le cerveau d'un assassin ? Qui sait ce qu'il aurait pu raconter ?

Nous pouvons même penser qu'il cherche à être découvert. Il veut, à l'aide des cartes, permettre aux autres de retracer son histoire. Personne ne la connaît réellement. Car nous avons beau croire ce que l'on nous dit, les apparences restent trompeuses. Pas tout ce que l'on raconte sur les morts ne s'avère vrai. Malheureusement, personne ici ne le saura avant le prochain drame, qui arrive bien trop rapidement. C'est triste, non ?

La foudre s'apprête effectivement à frapper les joueurs restants, le nuage meurtrier bien plus proches qu'ils ne le pensent. Ils se croient à l'abri derrière les barricades qu'ils viennent de mettre en place, mais ils ont en réalité facilité le travail de l'orage. La tempête n'est pas loin, et ils n'auront aucune possibilité de fuir lorsque celle-ci arrivera. Mais contrairement aux croyances, ce ne sera pas celle que tout le monde attend. Non, elle sera bien plus dévastatrice, bien plus spéciale, bien plus singulière. Ce ne sera qu'une maladresse, un éclair tombant au mauvais endroit. Ils en paieront le prix. Et les meurtres ne cesseront. La cible principale n'ayant toujours pas été éliminée, cela ne s'arrêtera pas, pas immédiatement. Ces pauvres gens sont à plaindre. Eux qui voulaient uniquement jouer à un petit jeu. 

Huit ans auparavant, ils voulaient également jouer à ce jeu en toute innocence. Personne ne s'attendait à perdre la vie ce jour-ci. Personne. À vrai dire, l'auteur du massacre ne s'y attendait lui-même pas. Il ne voulait pas que cela se passe de cette manière. Il n'était à ce moment pas si fou. S'il s'agit de la même personne, du même tueur du Massacre de 1998, peut-être existe-t-il encore une once d'espoir. Peut-être peuvent-ils encore implorer une pitié, réveiller une émotion refoulée depuis bien longtemps. 

— Regardez vos cartes, ordonne Marine.

Ils retournent tous les quatre à la place qu'ils occupaient avant. Ils se fixent, attendant de savoir qui le fera en premier. Veronica se décide et retourne toutes ses cartes avant de les étaler sur la table. Le reste du groupe l'imite et ils scrutent à tour de rôle ce qu'il y a dessus. Ils font la même chose avec les paquets de Louis et Isaac. Le résultat est assez évident. Il manque les cartes de quatre armes, quatre lieux, et tous les personnages.

— Il a déjà prévu comment tous nous tuer, décrète Gabriella d'une voix tremblante.

Leur sang se glace, ils savent qu'elle a raison. Leur destin est en réalité scellé. Il l'était au moment-même où ils ont soulevé le couvercle de la boîte. Ils ne peuvent plus rien faire pour y échapper. Il ne leur sert à rien de prier. Même supplier quelque divinité n'aurait plus d'impact sur ce drame. Il est bien trop tard, les cartes sont déjà distribuées, et il n'y a plus moyen de les mélanger.