Cauchemar

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Dans la tête de Gabriella, il y a une agitation monstrueuse. Ses pensées s'agitent sans arrêt tandis qu'elle plonge dans un sommeil lourd et profond. Les premières minutes, voire les premières heures, rien ne se passe et elle reste submergée par une somnolence sans rêve. Mais d'un coup, les images s'enchaînent. 

Elle ne voit rien d'autre que le manoir sombre. Le temps est abominable. Le ciel gris est déchiré par des nuages bien plus sombres. Le vent de plus en plus violent s'écrase sur son visage et décoiffe ses cheveux auparavant parfaitement ordonnés. Des corbeaux par centaines tournoient au-dessus de sa tête et poussent d'effroyables cris. Quelques plumes sombres virevoltent même jusqu'au sol. Elle regarde à droite, puis à gauche. Il n'y a personne. Les plumes tombent de plus en plus, à tel point qu'il devient pénible pour la jeune femme de voir correctement. Son instinct lui dicte d'entrer dans la maison. Elle tente d'avancer, mais elle peine à mouvoir son pied devant elle. 

Les cris se transforment en hurlements et soudainement, un des oiseaux chute. Il s'écrase au sol et Gabriella le fixe avec terreur. L'animal est mort, gisant sur le sol. Puis un autre. Et encore. Un par un, les corbeaux s'effondrent. Mais malgré ça, les bruits persistent. Elle ne veut qu'une chose : fuir ce paysage d'horreur. 

Elle chasse avec sa chaussure les corps inanimés et se traîne jusqu'à la porte d'entrée. Elle cogne à la porte qui s'ouvre toute seule sous ses coups. Derrière elle, les hurlements sont toujours aussi forts. Mais au moment où elle attrape la poignée pour s'enfermer à l'intérieur, tous les sons cessent.

Une fois dans l'entrée, elle scrute les alentours. Une odeur atroce flotte dans l'air, mais elle l'ignore. Gabriella semble totalement absente, elle ne remarque même pas le sol, les murs et le plafond entachés d'une substance rouge sombre. Peut-être est-ce la peur qui la plonge dans un déni incontrôlable. Elle avance, ne sachant pas où aller. Le parquet grince. Le son se distord, on ne dirait plus un craquement, plutôt des chuchotements. Elle ne comprend pas ce que tout ça signifie, mais elle sait qu'elle doit s'affoler. 

Les mots sonnent tout doucement de plus en plus fort. À tel point que l'italienne est enfin capable d'en saisir le sens. 

— Caméscope, murmure la voix. 

Sa voix. Comme si elle se parlait à elle-même. Et tout d'un coup, elle se précipite dans les escaliers. Elle survole les marches et appuie frénétiquement sur la poignée de sa chambre. Elle s'engouffre à l'intérieur avant de se jeter par terre. Elle regarde sous son lit et tend son bras comme pour atteindre quelque chose. Ses doigts effleurent le sol poussiéreux sans vraiment trouver ce qu'elle cherche. Sa propre voix continue de retentir autour d'elle, si fort qu'elle se sent obligée de plaquer ses mains contre ses oreilles au lieu de fouiller sous le matelas. 

Elle a l'impression que ses tympans vont exploser, elle a mal et cette douleur devient insupportable. Plus le temps passe dans cette chambre, moins elle comprend ce qui lui arrive. Elle sait qu'elle doit absolument s'emparer de cet objet. Elle écarte alors précautionneusement ses mains de son visage et les plonge une dernière fois sous le lit. Elle soupire en attrapant enfin le caméscope. Elle ne sait pas pourquoi elle le voulait si désespérément. À l'instant même où elle l'allume, les murmurent s'estompent. La souffrance devient bien plus supportable.

Gabriella brandit l'appareil devant elle, prête à filmer. Elle sort de la pièce et la réalité la frappe enfin. Elle remarque le sang qui s'écoule de chaque mur, chaque mètre carré de ce manoir. Elle avance avec précaution, posant un pied avant l'autre tandis qu'elle cherche à redescendre les marches. Elle veut de nouveau sortir. Elle est terrifiée à cette idée, mais elle sait que le danger qui se cache dehors n'est rien comparé à celui présent dans cette maison. C'est là qu'elle l'entend. Un craquement, un cri rauque, un choc. En une fraction de seconde, elle comprend ce qu'il se passe et jette un œil au-dessus de la rambarde. 

Elle revit le spectacle abominable de la mort de Louis. Son corps distordu et inanimé gisant sur le parquet. Sans réfléchir, elle braque le caméscope sur lui. Elle capture ces images avant de subtilement diriger l'objectif vers l'étage. Ou plus précisément l'endroit où se tenait son ami quelques minutes avant de tomber. Au sol se trouve un objet métallique. Une barre de fer qu'elle n'avait pas vu auparavant. Elle baisse l'appareil et fixe l'arme. En s'approchant, elle remarque les quelques gouttes de sang qui la parsèment. En réprimant un cri d'effroi, elle dévale les escaliers. Elle survole presque le cadavre de Louis, sans même lui jeter un œil de peur de raviver un souvenir bien trop récent. Elle ne veut surtout pas avoir cette image de nouveau, ce visage vide d'expression et corps sans vie. 

Elle agite la poignée comme une forcenée, sans résultat. Quelque chose dans ce manoir la force à rester. 

— Ne pars pas, murmure une voix. 

Encore une fois, il s'agit de la sienne. Mais cette fois-ci, elle ne s'en rend pas réellement compte. On pourrait croire qu'elle dissocie ce dialogue d'elle-même, qu'elle se persuade que quelqu'un d'autre lui parle. Comme si quelqu'un d'autre était responsable de tout ça. 

Elle cesse de s'acharner sur la porte mais ne bouge pas. Elle reste postée comme ça, immobile et désorientée. Une simple larme coule tout doucement le long de sa joue. Une larme renfermant frustration, deuil et panique. Elle comprend soudainement ce qui lui arrive. Tout ceci n'est qu'un cauchemar. La réalité tente de la rattraper même dans son sommeil. Rien de tout ça n'est réel, ce n'est qu'une illusion créée par son subconscient.

Elle espère qu'au moment où elle rouvrira les yeux, elle sera de retour auprès de ses amis. Elle a peur de rester ici. Et honnêtement, elle souhaiterait aller fouiller au niveau des escaliers. Peut-être que son esprit a vu du coin de l'œil cette barre de fer sans qu'elle-même ne le réalise. Après tout, on ne sait jamais vraiment comment peut agir notre conscience face à un tel drame.

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