Chapitre XV : L'envol

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Je me réveille non sans difficulté. Rose est déjà partie admirer la vue de la Terrasse, elle est plus téméraire que moi. Il ne m'en aurait pas fallu beaucoup pour envoyer valser notre projet d'aller admirer les montgolfières à l'heure de leur départ, et me rendormir pour quelques heures encore.

Dans un ultime effort, je me lève d'un bon et enfile un jogging et un tee-shirt gris. Ce serait dommage de passer à côté de notre voyage, surtout que l'envol des montgolfières a l'air de valoir le détour. J'allume ma cigarette, Roseline m'aperçoit tandis que je la rejoins d'un pas traînant sur la terrasse.

- Alors ma Lulu, pas trop rude ce réveil ? C'est pas dans tes habitudes de fumer dès le matin.

- Oh oui, t'inquiète. J'ai eu du mal à m'endormir et ce matin, ça me détend.

- D'acc. Bon, à tous les coups on a déjà loupé le coche. Ça fait déjà une demi heure que j'attends. Je comprend pas, je suis levée depuis 4 heures.

Mon amie ne cesse de regarder le ciel, craignant que sa quête ne soit vaine.

- Le gars de la réception ne pas t'avait dit qu'on les verrait à coup sûr ?

- Justement, il m'avait précisé qu'on ne les voyait pas tous les jours, mais que normalement aujourd'hui elles décolleraient.

Je me pose mollement sur une des banquettes de la terrasse.

- Regarde,
dis-je à mon amie en désignant le ciel d'un mouvement de tête.

Nous apercevons une montgolfière s'élever dans les airs, puis, en à peine quinze minutes, des dizaines de montgolfières multicolores constellent le ciel. La  scène est féérique, même pour moi, mon flegme et mon pessimisme.

- Oh wahou !

Pendant que Rose immortalise le spectacle avec son téléphone, rendant plus qu'hommage aux photos que l'on avait pu voir sur internet, j'admire l'incroyable exposition depuis ma banquette, émue.

Une sonnerie brève et reconnaissable détourne mon attention un instant. C'est une notification de Ageng. Comme s'il avait senti à distance la poésie du moment, ses messages prennent une tournure différente.

" Multitude, solitude : termes égaux et convertibles pour le poète actif et fécond. Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée. "

Je ne suis pas surprise de recevoir ce genre de messages. J'avais rapidement senti son côté artiste torturé, génie incompris.
La question est : pourquoi m'envoie-t-il cela maintenant et à moi ? C'est poétique, mais ce n'est pas lyrique. Rien à voir avec une drague classique ou enflammée, il ne me parle ni de moi, ni de ses émotions envers moi. Plus subtil et malin que cela, peut être ?

Ça peut être aussi un excès de méfiance de ma part. Après tout, ce qu'il m'a envoyé résonne dans mon esprit. Les mots qu'il a choisi lui ressemblent certainement, et me ressemblent. La solitude, le besoin désespéré de la combler, je suis peut être simplement en face de quelqu'un qui me partage quelque chose de profond car il s'est reconnu en moi.

" Haha, pourquoi tu m'as envoyé ça ? "

Quelques instants plus tard, je reçoit sa réponse.

" Je ne sais pas :)))) Je n'ai trouvé rien d'autre en français sur Internet. "

Bon.

- A qui t'écris Lulu ?
Demande Rose sans me regarder, toujours dans sa contemplation des montgolfières. Comment fait-elle pour avoir cette vision oblique ?

- Ageng, il m'écrit depuis hier soir. Il prend des nouvelles.

- C'est pas vrai ?
S'enthousiasme Rose. Elle fait volte face, avide d'en savoir plus.

Il te dit quoi ? Il te chine encore ?

- Ça en a un peu l'air, il m'envoie des citations philosophiques en français.

- Quand je pense que tu disais qu'il n'allait rien se passer entre vous. Et en fait si,
me taquine Rose.

- Je peux te dire qu'avec moi le ton est différent,
Reprend ma copine.

- Il m'a écrit pour me demander pourquoi je n'avais pas mis une note sur Tripadvisor sur son Hôtel, maintenant qu'on est parties. Business avant tout.

- Mais non ?!

- Si. J'ai trouvé ça un peu cavalier, d'autant que je l'avais déjà fait.

Je croise les bras et me renfrogne.

- Il est spécial quand même. Je te cache pas qu'il me plait un peu, mais il est difficile à cerner.

Merde, je n'aurais pas du dire ça. Rose va recommencer à m'asticoter.

- Aaaah, il te plait alors ? Tu vois tu m'envoyais dans les bras du premier venu tout en dédaignant d'avoir le moindre bail. Et te voilà maintenant, amoureuse de notre hôte...

- N'exagérons rien, il me plais un peu.
Je rectifie.

- Si tu veux on peut revenir dans son hôtel une fois que nous serons revenues à Istanbul. C'est le bon plan, on connaît déjà, il te kiffe, peut-être qu'il peut réserver une chambre pour nous dès maintenant. Je lui demande ?

- Ok pourquoi pas !

- Par contre en parlant de chinage, Mehmet ou Cengo, on ne sait plus trop.

- Ouais ?
Je m'enquiert, c'est à mon tour d'être avide de potins.

- Il veut absolument qu'on aille boire un verre vendredi soir, juste avant notre départ. Toi, moi, lui, et son meilleur pote.

- Quoi ?? Oh non... Ça sent les plans bizarres...

Rose glousse.

- Oh écoute, on verra bien comment il est. C'est pas toi déjà qui disais qu'il fallait croquer dans la pomme ?

- Je t'ai justement dit que rien n'obligeais à la consommer et tu validais ce propos pas plus tard qu'hier soir.

- Ouais mais ensuite t'as ajouté qu'une petite idylle de vacances ne ferait pas de mal. Viens avec moi ! Ce sera drôle. J'ai peur qu'il ne veuille pas me capter si il n'y a pas son pote. Ça se trouve il va te plaire même peut-être plus que ton Ageng.

Allons bon.

Les flammes pluriellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant