Chapitre XL : Troisième départ

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Je fais les cent pas dans mon studio, traînant ma misère en faisant le point. Hors de question que j'attende un message de sa part comme Pénélope attendait Ulysse. Désormais, Ulysse, ce sera moi. Je vais me rendre sur les terres du crime, celui qui a eu lieu lorsque Ageng a brisé mon cœur. Finalement, au lieu de rester prostrée comme une victime de son ghosting, me vautrer dans la léthargie, dans la déprime, quoi de mieux que de retourner sur les lieux, à Istanbul ? Ajouter du mouvement à la sidération dans laquelle m'a plongé sa disparition, voire, ajouter à l'histoire un point final. Clore ce chapitre de ma vie. Si toutefois j'en suis capable.

Je pourrais en profiter pour voir Emine et Aylan, puis, plus ou moins fortuitement, passer à son Hôtel. Obtenir, non pas seulement une explication, mais " l'Explication ", celle qui me permettra enfin de comprendre ce qu'il s'est passé entre nous, quelles obscures raisons ont pu le pousser à disparaître de ma vie après une rencontre aussi romanesque, une connexion humaine aussi évidente, une intimité partagée ensemble. Quelle justification peut-il bien exister, quel mal peut-il le ronger, lui qui était censé être mon âme sœur mais qui le connard universel et intemporel qui déserte après l'amour ? Le connard lambda ?

Il me faut un plan. Ou non, une absence de plan. Stratégies dans l'amour n'est pas véritable amour. Je vais me rendre à Istanbul dans la spontanéité la plus totale. Je ne vais pas voir Ageng lui quémander une justification, je vais juste rendre visite à des amis rencontrés à Istanbul. Le fait de le revoir sera purement secondaire. Je vais prendre quelques jours de vacances, me ressourcer, et si je me sent prête à le confronter, je le ferais. Oui mais, ça ne tiens pas. Emine et lui travaillent ensemble et s'entendent bien. Elle va forcément l'avertir de ma venue. Il va forcément comprendre que je viens pour lui. Et merde, je viens pour lui... Et je me mens à moi-même sans même m'en apercevoir. Bon. Maintenant que je sais que je viens principalement pour le revoir, je dois savoir comment agir avec lui, quelle posture adopter.

Déjà, je pars du principe - optimiste - qu'il s'agira d'un week-end de retrouvailles. Ses sentiments n'ont pas pu disparaître en quelques semaines. Non, c'est littéralement impossible, comme dit Alice, le sentiment n'est pas un interrupteur on-off qu'on peut faire cesser à sa guise. Et quand bien même ce serait le cas, si Ageng s'est vraiment désintéressée de moi, alors ce sera un voyage de reconquête. Le manuscrit et ma rencontre avec Aylan et Emine m'offrent un parfait prétexte. C'est elle-même qui, au moment de mon départ, m'a dit que je pouvais revenir quand je voulais, en tant que son invitée. Mais si l'un deux accepte de m'héberger, comment ça se passera entre Ageng et moi ? Vais-je oser débarquer comme une fleur à son hôtel, la petite amie frenchie qui revient ? OUI, exactement ! Ce sera ça mon projet !

Je furète au gré des pages de la boutique en ligne de l'Injénue, cette marque parisienne à destination des jeunes femmes qui embrassent un look vintage. Cette robe sera la signature de mon acte : la petite amie qui revient, à mordre-dedans en robe Vichy. Il ne pourra décemment pas me résister. Je fais défiler les minuscules vêtements sur les silhouettes filiformes des mannequins en espérant rentrer encore dedans. Puisque projet de reconquête il y a, hors de question que j'aille là-bas habillée comme un sac. 

Puis, se dessine en arrière plan de mon esprit, comme en filigrane, une autre pensée. Je me regarde comme si j'étais un point de vue extérieur, scroller les vêtements et, tel un arrêt sur image, et je me demande un peu ce que je fous. J'envisage d'aller rejoindre, sans même qu'il soit au courant, un mec qui m'a ghosté. Et maintenant, j'espère de saines retrouvailles avec une petite robe et un vocabulaire guerrier. Tout cela est assez... Délirant. Et en même temps je ne me vois pas faire une croix sur cette histoire.

Je fini par me perdre dans les méandres d"internet. Je tape : comment surmonter une rupture. " Articles de presse féminine, sites de coachs, les liens affluent. Je ne sais pas lesquels choisir.
Peu importe, j'ai besoin d'un espoir, d'un mode d'emploi, de n'importe quoi pourvu qu'il fasse remontrer mes taux de sérotonine et dopamine rapidement, pour que je n'ai pas besoin d'aller appeler une copine pour prendre un verre.  

Je poursuit mes recherches par des chaînes de vulgarisation de psychologie sur Youtube. " YouQUOI, tu dis ? Mais ces gens-là ne sont pas diplômés, tu vas apprendre n'importe quoi ! " aurais-dit ma mère si elle était à côté de moi. "  Avant de laisser la vague de la honte me submerger, je prends deux seconde pour prendre conscience de ce que je suis en train de faire, pour me décider enfin à taper sur google : " comment récupérer son ex " . En même temps que je pianote sur mon clavier, je vois en bas de ma phrase la suggestion de ce qui a déjà été tapé par d'autres utilisateurs antérieurement : " comment récupérer son ex qui n'a plus de sentiments ". Je vois que je ne suis pas la seule jusqu'au boutiste. Ou désespérée. En tous cas, c'est ce qu'il me faut. Je clique sur la suggestion.

J'ôte une cannette de Coca light de mon mini-frigo, ma principale munition quand il s'agit de me recentrer. Je m'affale sur le canapé-lit et réfléchit, à mesure que la pétillante boisson me rafraîchit les idées. Enfaite, c'est un bordel sans nom dans ma tête, tout est mêlé. Est-ce-que je souhaite retourner à Istanbul pour revoir Ageng ? Des amis ? Chercher le contenu d'un vieux manuscrit ? Résoudre un mystère ou réclamer un retour sentimental ? Trop de doutes, d'inertie, ça manque de réponses, de tranchant et surtout de décisions. Et en même temps, si je ne sais pas si partir là-bas sur un coup de tête est la meilleure idée qui soit.


Les flammes pluriellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant