Chapitre XXXIII : Fleurs séchées

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*** NOTE : Je m'excuse par avance à mes peu nombreuses mais si fidèles lectrices, j'ai écrit ce chapitre avec un peu de peine car il tranche avec tout ce que j'ai pu écrire avant, du moins je le crois, et j'avais comme une appréhension quand à ce que la suite vous déçoive. Le fait que vous me lisiez et surtout que vous y preniez plaisir est si précieux pour moi, que j'ai pensé à vous durant l'écriture et à la potentialité que vous ne vous attendiez peut-être pas à ce genre de tournures. J'espère juste que ce ne sera pas le cas et je vous souhaite une bonne lecture.


***

De tous les rituels quotidiens, celui que je préfère reste la douche du soir. Je sors de la salle de bain dans les vapeurs de l'eau et des senteurs enveloppantes de l'huile d'amande douce.
Quoi de plus agréable de se faufiler propre dans des draps frais ? Et de retrouver son environnement : fleurs séchées, les objets de déco que je chéris... Mon oreiller en satin est le premier témoin de l'éclosion des premiers émois entre Ageng et moi. Le moment propice pour l'appeler, à peine rentrée.

Dès qu'il m'aperçoit derrière l'écran, et alors qu'il reconnait le décor de mon appartement, son visage passe d'une expression de neutralité à la tristesse.

- Oh, tu es revenue à Paris,
Constate-t-il.

Puis, je le regarde dissimuler son visage dans ses mains, et comprend qu'il ne peut retenir ses larmes. Je suis bouleversée. Je n'avais pas de doutes sur le fait qu'il m'aimait mais... peut être que je ne pensais pas que c'était à ce point. J'ai beau l'adorer, je ne vis pas si mal que ça mon retour à Paris, non par manque de sentiments, mais, au contraire, grâce à la certitude et à la foi en notre amour.

Il vit peut-être différemment les choses. C'est idiot mais, je regarde ses pleurs étouffés comme une marque d'attachement immense. Pourtant, les larmes, si elles traduisent une émotion évidente, ne sont pas forcément la  preuve ultime d'une détresse insurmontable. Au delà du fait que sa peine me touche pour des raisons évidentes liées à l'affect que je lui porte, le fait qu'il soit un homme - pleurant - explique probablement que je sois touchée aussi profondément. Au cours de ma vie, j'ai tellement entendu que les hommes pleuraient moins que les femmes et avaient appris à contenir leurs émotions, que le voir submergé m'émeut moi-même intensément.

- Je dois y aller,
Dit-il.

- Ok, baby, je te laisse. Je t'aime.

- Je t'aime aussi.

Nous raccrochons, je crois que le mieux pour lui est que je lui rende la pudeur de ce qu'il ressent. Je ne peux pas me perdre dans le sommeil avant de lui envoyer un dernier message, surtout après avoir constaté la douleur, intrinsèquement liée à l'amour que me porte que cet être adoré.

Tu n'as pas idée d'à quel point je t'aime.

Le message envoyé, je peux enfin fermer l'œil.

Le lendemain, dans les nuées de mon réveil, je suis apaisée. J'ai juste le temps de me préparer et de jeter un œil à notre conversation. Il n'a pas répondu à mon message de la veille. Bizarre.

La journée se déroule dans une normalité un peu contrariante. Je vis de manière abrupte le contraste entre la reprise du quotidien, tout aussi brut, quand la veille j'étais avec l'homme que j'aime. Je n'ai qu'une hâte, rentrer et le retrouver... derrière nos écrans.

Arrivée à domicile, notre échange me semble légèrement différent.

- Qu'est-ce-qui ne va pas ? Tu as mis du temps à me rappeler...

- C'est juste que le gars que tu as vu, mon collègue de l'accueil, m'a tenu la jambe toute la soirée pour que je l'aide.

- Mais pourquoi tu as l'air si triste encore ?

- Notre week-end ne s'est pas passé comme je l'imaginais.

- Quoi ?

- Je ne peux pas ignorer le problème car la situation deviendrait pire.

- Bien sûr qu'il y a eu quelques problèmes mais c'était la première fois que l'on se revoyait, et tout un contexte...

- Oui, il y a des éléments de contexte... J'aurais voulu t'emmener dans un club que j'apprécie, on a pas pu y aller car tout était fermé à cause du Covid...

- Tu vois, des éléments de contexte. Et j'avoue ne pas avoir compris pourquoi on est sortis aussi peu. Certes, les restaurants et les commerces étaient fermés, mais... Ça reste une ville immense, on aurait pu se balader, il y avait des choses à faire... Je me suis sentie pas si attendue que cela, quelque part...

- Lulu, où veux-tu en venir exactement ?

Je sent les émotions me submerger.

- Nulle part. Je ne veux en venir nulle part. Je te dit simplement ce que j'ai ressenti. J'ai l'impression d'avoir fait quelque chose de mal, et maintenant je souffre car j'ai l'impression que tu m'aimes moins.

Un petit sourire triste se dessine sur sa figure.

- Lulu, l'amour n'a rien à voir avec cela. L'amour n'a rien à voir avec ce que tu aurais pu faire ou ne pas faire. Certaines personnes aiment des personnes considérées comme parfaites aux yeux du monde, d'autres au contraire tombent pour des meurtriers...

- Je veux juste savoir si tu m'aimes toujours.

- Bien sûr que oui.

Je fais mine de sécher mes larmes, lesquelles ont bien coulées depuis ces dernières minutes.

- Est-ce-que tu te sent mieux ?
Me demande-t-il tendrement.

- Non.

- Même si je te dis que je t'aime beaucoup trop ?

- Non plus.

Je ne sais pas pourquoi je me sent toujours obligée de faire l'enfant avec lui.

- Bonne nuit, mon amour.

- Bonne nuit.

Je raccroche en faisant la moue mais je suis rassurée. Cette nuit-là, je dors paisiblement.

Du moins, jusqu'à ce qu'un appel me tire du sommeil quelques heures plus tard. Qui peut bien me téléphoner aussi tard ?

C'est encore lui. C'est étrange. Autant, il a été à l'initiative de la quasi-totalité des appels quotidiens que nous passons depuis notre rencontre, à la fois, c'est surprenant qu'il téléphone aussi peu de temps après notre dernière conversation.

- Baby ?
Je décroche, et ne reconnaît pas son expression, car celle-ci est assez inqualifiable. Il y a, peint sur son visage, comme une sorte de grimace qui exprime je ne sais quoi d'inexprimable. Une sorte de joie qui sonne faux, comme mélangée à du désespoir.

- Ah, Lulu, Lulu...

Il est alcoolisé.

- Qu'est-ce-qu'il se passe ?

- Tu es manipulable, Lulu...

- Quoi ?

- Tu es manipulable, tu es manipulable, tu es manipulable,
Répète-t-il sans cesse, comme s'il voulait me jeter un sort.

- Non, je ne le suis pas.

Cette-fois ci les larmes me montent aux yeux et j'explose, laissant court un mélange de frustration et d'une profond chagrin. Je ne sais même pas ce qu'il veut me dire, ce qu'il entend par là, la seule chose que je sait, c'est que s'entendre dire ce genre de phrases n'est jamais bon signe.

- Pourquoi tu me sort un truc pareil ? Tu es devenu fou ? C'est méchant, c'est toxique...

- Je suis toxique maintenant ?
S'exclame-t-il.

- Non tu ne l'es pas, mais ce que tu viens de dire l'est. Pourquoi tu me rappelles pour me dire que je suis manipulable ? Je comprends rien.

- Parce-que je t'aime trop ! Je n'en peux plus de te voir avoir peur de tout et de tout le monde, j'aimerais tellement te rendre plus forte. J'aimerais tellement te rendre plus forte par rapport aux autres, par rapport à moi aussi.

Les flammes pluriellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant