Chapitre XXXIV : Flammes

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- Cette image est l'une des représentations d'un conte dont la particularité est que son origine, tant géographique que temporelle, est incertaine. Il vient du pourtour méditerranéen, ça c'est à peu près sûr, mais du coup le périmètre est vaste. L'écriture que vous voyez peut sembler à première vue une calligraphie arabe ancienne, à cause du caractère anguleux et géométrique de l'écriture, mais ce n'est pas le cas. C'est un alphabet inconnu mais dont nous avons pu trouver des traductions ultérieures, à force de croiser les sources et de reconnaître cette même image. En revanche, aucun paléontologue n'a pu identifier l'écriture. Et concernant cette image, avec les enluminures, on pouvait imaginer au premier abord qu'il s'agisse d'une miniature ottomane, à cause du dessin qui fait penser aux miniatures persanes et chinoises, qui ont influencées la miniature Ottomane. Mais il n'en est rien car comme vous le voyez, les traits du visage de la jeune femme sont très précis, on pourrait quasiment la reconnaître, c'est presque semblable à une photo pour l'époque. Or, la religion interdisait une représentation trop réaliste des êtres humains. C'est pourquoi nous pensons qu'il ne s'agissait pas de l'illustration d'une légende du Proche-orient. A moins qu'il ne s'agisse d'une œuvre qui aurait été considérée à l'époque comme profane.

Je me demande s'il a remarqué que la femme sur l'image me ressemble, ou si je suis simplement prisonnière de mes fantasmes ; évidemment, c'est délicat de briser le récit de son explication pour lui poser la question. D'autant plus que je suis pendue à ses paroles.

- Pour en revenir à notre conte, ou plutôt légende car il semblerait qu'elle soit rattachée à des éléments historiques. Il y a quand même plusieurs traductions du dialecte auquel je faisais référence qui ont été retrouvées et accolées aux illustrations de la légende, qu'on a pu identifier comme étant la même que celle que vous admirez, et qui font que nous connaissons l'essence de cette histoire.

- Quelle est-elle ?

L'homme se met à nettoyer frénétiquement ses lunettes avec sa petite chamoisine, l'air embarrassé.

- Je ne peux pas vous racontez, pour des raisons liées à la la prospérité de notre entreprise. Nous ne pouvons pas donner d'informations trop détaillées du contenu des manuscrits que nous vendons. Les œuvres sont tellement anciennes qu'il n'y a pas de problèmes de droits d'auteurs, en revanche nous avons des obligations en ce qui concerne l'intégrité du processus de vente.

La chute est un peu abrupte, quoique dite gentiment, et la remarque est d'une logique implacable. Évidemment que les employés de la société ne va pas divulguer le contenu des trésors dont ils font commerce.

- Et ça n'a rien à voir avec vous,
reprend-il, mais en plus de cela nous devons protéger certaines informations confidentielles des contenus pour éviter les contrefaçons.

Voilà qui ajoute encore un voile de mystère à mon  affaire. Devant mon air que je suppose dévoré par la curiosité, mon informateur ajoute :

- Ce que je peux vous dire en revanche, c'est que l'image qui vous intéresse est associée à une légende ancienne sur l'histoire de deux amants, jonchée d'épreuves, d'obstacles, de séparations et de retrouvailles...

- Une histoire d'amour classique, en somme.
Me permets-je d'interrompre mon interlocuteur d'une manière un peu plus laconique que je ne l'aurais voulu.

- A la différence que...

Son regard part dans la direction de son collègue, occupé avec un couple de quinquagénaires élégants. Il semble réfléchir.

- A la différence qu'au vu du peu de sources dont on a disposé, de l'incertitude liée aux traductions approximatives et anciennes, il y a des doutes qui subsistent quant à cette histoire. Je ne peux pas trop vous en dire mais en fin de compte, le lien entre les deux amants n'est pas très clair. Ils sont amants selon certaines interprétations, dans d'autres, c'est simplement la métaphore d'un lien spirituel fort, un rapport maître-élève ou de complicité intellectuelle.

- C'est très vague ...

- C'est une histoire vague. Ouverte à de multiples interprétations. Vous verrez si un jour, si vous en faites l'acquisition.

Je remercie sincèrement l'homme de la société de codex pour tous ces renseignements précieux, avant de reprendre la route vers mon domicile. Je décide de rentrer partiellement à pieds, histoire que la marche aère mon esprit riche de toutes ces informations, mais pauvre à force de ruminer sans cesse mon histoire avec Ageng, en déplorant le fait de n'avoir, toujours à l'heure actuelle, aucune nouvelle de lui. Les mots de mon interlocuteur mon donner à penser : quelle était la véritable nature de ma relation avec Ageng ? Pour me rayer de sa vie dans un aussi implacable silence, nourrissait-il pour moi de vrais sentiments qui ont débordé ou au contraire, une lassitude qui s'est mue en désintérêt et en indifférence ? S'agissait-il réellement d'une histoire d'amour, ou d'un emballement passionnel dilué dans un simple rapport de pouvoir ? De mon côté, une seule certitude : Ageng est unique à mes yeux.



Les flammes pluriellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant