Chapitre XXVII : Équilibre et harmonie du féminin

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Après seulement quelques années passées à Paris, une semaine passée dans les métros peut me mettre dans un état de tension comparable à si j'avais passé dix minutes dans la jungle. Je dois admettre que la promiscuité avec la faune urbaine, ce n'est pas trop mon truc, ni celui de personne, probablement. Aux heures de pointe à Paris, les transports sont noirs de monde. Dans ces moments, si je n'ai pas eu la chance de trouver une place assise, je lance des regards assassins aux personnes qui se sont offertes ce luxe. Il est pourtant clair que j'aurais été assise au même endroit qu'eux si j'en avais eu la possibilité.

Pressée et soulagée d'arriver au bureau après mon long trajet métropolitain, je passe le digicode et pénètre dans les locaux lumineux du siège social. Derrière l'aloe vera qui décore son bureau, Gabriel, mon collègue chargé d'accueil, en communication, répond à mon signe de la main par un sourire rayonnant et je me dirige vers mon bureau, portée par l'odeur de bois neuf qui émane de la pièce et m'apaise instantanément.

Je travaille dans une structure dédiée à la réinsertion professionnelle. Être dans une posture d'écoute et d'observation a toujours été dans ma nature. Au-delà d'essayer d'être une oreille attentive, j'ai toujours aimé donner des conseils, transmettre des informations et des outils qui, dans une certaine mesure, améliorent la vie des gens. Il était donc logique que je me tourne vers un métier du social, celui de la réinsertion professionnelle, en l'occurrence. A peine ai-je eu le temps de poser mon sac sur mon bureau, que j'entends la voix forte de Marie-Odile, ma responsable. Elle m'interpelle.

- Lucie ! Dans mon bureau dans 10 minutes.

Et merde. A tous les coups j'ai dû oublier quelque chose d'important, mon étourderie me perdra un jour. Je me dirige vers le bureau de Marie-Odile à pas feutrés, comme pour m'excuser par avance. Celle-ci est déjà assise et me fait signe de faire de même, un air sévère plaqué sur le visage. Je m'assieds timidement sur la chaise, attendons mon sermon.

- L'autre jour, quand tu étais en congés, j'ai effectué ton remplacement à la permanence de Villeneuve-les-lapins. Quand j'ai vu le nombre de transports qu'il fallait prendre avant de se rendre sur les lieux, j'ai directement opté pour le Uber. Et tu sais quoi ? Mon chauffeur s'est pris une moto. Regarde ça.

Marie-Odile me montre les photos de la banquette arrière du véhicule, parsemée des éclats de verre de la vitre.

- Oh mon dieu, quelqu'un est mort ?

- Non, personne, pourquoi veux-tu que quelqu'un soit mort ? Blague à part. Je voulais te dire que j'ai demandé à la direction à ce que tu reçoives une prime pour les remplacements que tu as effectués pendant les congés de Cédric.

Je sent un sourire se dessiner sur mon visage.

- C'est tout ?

- Oui, c'est tout. Pourquoi voulais- tu qu'il y ait autre chose ? Tu avais envie de te faire engueuler, c'est ça ?

Marie-Odile s'esclaffe de son rire rauque de fumeuse invétérée. La première fois que j'ai rencontré Marie-Odile, le jour de mon recrutement, j'ai su que j'avais à faire à un personnage. Dans le beau sens du terme. Sexagénaire dynamique, Marie-Odile commence chacune de ses journées par une séance de gymnastique suivie d'une douche glacée, ne mange jamais le midi, et gère la structure d'une main de maître, quasiment à elle-seule. Son masque d'apparente autorité masque un fond d'une rare générosité.

L'annonce de cette prime et le punch ragaillardisant de Marie-Odile m'ont donné un coup de fouet et je mène la suite de ma journée dans la bonne humeur. Aujourd'hui, je n'ai pas de rendez-vous en présentiel, uniquement du temps administratif dans lequel je gère mes dossiers à mon rythme, et le reste de la journée se déroule dans le calme. Au moment de partir, pour prolonger la sérénité de cette journée, je fais un détour par la Parc de Bercy avant de rentrer chez moi. Après quelques pas au cours desquels j'ai le plaisir de profiter du beau temps assez exceptionnel pour un mois de janvier, propice à lire un livre près d'un arbre en observant les tortues des mares du Parc. Je me plonge dans la lecture d'un roman de Balzac qui fait mon bonheur en ce moment. L'une des raisons de cette joie est l'un des personnages principaux, qui suscite mon enthousiasme. Il s'agit d'un noble espagnol en exil, dont les yeux de feu sont le miroir d'une âme emplie d'honneur et de hautes valeurs. Cet homme beau n'être qu'un être de fiction, il constitue à mes yeux un idéal. Je meurs d'envie de savoir ce qui va lui arriver au fil de l'histoire. Il ne faut pas que je m'endormisse trop dans ma lecture car la nuit commence à tomber et je ne devrais pas tarder à rentrer. Mon appel journalier et rituel avec Ageng n'attend pas, et nous avons deux heures de décalage horaire...

Les flammes pluriellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant