Chapitre II : Adnane Hotel

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Dans la petite rue aux lumières multicolores, Rose et moi-même profitons de notre première soirée. Des vacances, un pays lointain, dîner en terrasse ensemble suffit à apaiser ma peine des derniers jours avant notre départ. A chaque désillusion sentimentale, je mesure la chance que j'ai d'avoir des amitiés solides.

- T'es contente de nos vacances, Lulu ?

Mon amie s'informe de mon état émotionnel avec une sollicitude sincère teintée d'une légère anxiété.

- Et comment. J'attendais que ça depuis des jours. J'en pouvais plus de Paris.

- La même. Je nous ai organisé un programme au top,
s'enthousiasme mon amie.
- On va visiter un peu Istanbul, puis Pamukkale et Ephesus. Toutes ces visites occuperont les 10 jours.

J'admire le sens de la planification de ma partenaire de voyage, et son implication à nous concocter un programme de vacances sur-mesure. D'aussi loin que je me souvienne, elle a toujours été plus dégourdie que moi. J'ai hâte de découvrir ces villes, mais j'ai la tête ailleurs. Très sensible à la fatigue, j'ai du mal à récupérer de mes nuits d'insomnie consécutives... J'aurais préféré 1000 fois être dans un meilleur mood, surtout pour faire honneur à notre première soirée. Je ne peux pas rester dans cet état lunaire, cela impactera ma manière de vivre ce séjour et celui de Rose aussi.  Il faut me ressaisir et que j'injecte un peu de légèreté et d'énergie dans notre moment.

J'observe les alentours, et en particulier le jeune serveur. De haute taille, ses épais cheveux noirs encadrent les traits fins de son visage mâle. Il correspond totalement aux goûts de ma meilleure amie. Bien que discret, il n'a de cesse de redoubler d'attentions à notre égard, c'est l'impression qu'il me donne avec ses allers-retours fréquents vers notre table et sa politesse appuyée. Ou peut-être fait-il simplement bien son boulot ? Je ne sais pas, j'ai un petit doute.

Quelques minutes plus tard, celui-ci s'élance vers nous.

-  Est-ce-que cela vous dirait d'aller admirer la vue de Sainte-Sophie de nuit, à l'étage du restaurant ? Je vous offre un verre là-haut si vous le souhaitez.

Voilà une proposition qui ajoute de l'eau au moulin de mon pressentiment.

Roseline monte la première avec le jeune homme. Juste avant de passer le seuil de la porte, elle se tourne vers moi et m'adresse l'une de ses fameuses exclamations sans son. Je la connais bien alors je peux lire sur ses lèvres :

" Il est canon ! "

Je lui adresse un clin d'œil malicieux en guise de réponse.

Une dizaine de minutes plus tard, ils réapparaissent.

- C'est magnifique, faut que tu voies ça Lulu.

Notre nouvelle connaissance me fait signe de passer devant lui au moment de monter les escaliers. Je manque de trébucher, et au lieu de faire comme si de rien n'était pour récupérer un peu de dignité, je prends le parti de me moquer de moi-même. Rosie s'esclaffe, confortant mon sourire en coin et mon sens de la dérision. J'adore la faire rire.

De la terrasse, la vue est en effet grandiose. J'admire la Mosquée Bleue et Sainte-Sophie, toutes en voûtes et colonnes, à la beauté desquelles les lumières nocturnes rendent hommage. La soirée se prolonge devant la ville enluminée et nous apprenons que le charmant serveur se nomme Mehmet. Il est sans âge, pouvant aussi bien être un peu plus jeune qu'un peu plus vieux que nous, et subtilement séducteur.Je sais qu'il ne laisse pas ma Rosie insensible, je la connais par cœur. Le bougre ne laisse rien paraître de son inclination naturelle, alors que je parierai sur le fait qu'il ait une arrière pensée, et des vues sur l'une de nous deux. 

Mehmet nous raccompagne vers l'hôtel. Au seuil de la porte, il nous souhaite une bonne soirée et « de revenir quand on veut ». Une fois le stambouliote hors de nos vues, je glisse à Rose :

- Il veut te pécho, j'en met mes deux mains à couper. Il est resté un moment avec toi sur la terrasse, et au moment de nous dire au revoir, son dernier regard a glissé vers toi. C'est le genre de détail qui n'a l'air de rien mais qui veut tout dire.

Mon amie discrédite mon analyse.

- Je n'en suis pas sûre, je crois que tu surinterprètes. Et puis c'est pas sûr qu'il veuille nous choper. Il est peut-être juste gentil.

Fausse modeste, elle ne semble pas remarquer l'intérêt de Mehmet pour elle, alors que je suis sûre de mon intuition. C'est tout le temps comme ça avec Roseline. Elle ne se rend pas compte qu'elle plaît, comme si elle rejetait une part de sa féminité, au point de nier les évidences.

- Tu pars toujours du principe que tu intéresses peu, alors que tu pourrais avoir des tas de mecs qui te colleraient aux fesses si tu avais davantage confiance en toi.
Je lance à ma copine, lassée de la voir se sous-estimer.

- Lucie, tu es adorable mais je t'assure que ce mec était juste professionnel et bon commerçant. Et si je peux me permettre, en terme de confiance en soi, tu n'es pas mieux lotie. Tu focalises trop ton attention sur les hommes, Lulu.

Alors que je m'apprête à contredire Rosie, nous arrivons devant la façade de l'hôtel. Une porte d'entrée extérieure, blanche et à carreaux, est ouverte afin de signaler l'entrée libre.

Deux hommes nous accueillent à la réception. Le plus âgé porte une barbe et les cheveux attachés. Il ne doit pas avoir plus d'une trentaine d'années, bien que la gravité de son visage en accuse davantage. L'autre semble avoir à peine vingt ans, probablement un stagiaire ou un étudiant. Agréable, légèrement timoré, il nous accueille poliment et avec moins d'attitude que son collègue. Ce dernier nous explique en faisant des gestes avec les mains, qu'il est le manager de l'hôtel, organise le séjour et les activités entre les clients et les partenaires de l'établissement. Sa posture, sa gestuelle, tout en lui respire l'assurance et un certain sens du contrôle. Il se montre courtois mais je perçoit une certaine froideur dans son regard. Je ne sais pas si elle nous est destinée où si c'est seulement sa personnalité. Il dégage un truc de mec sur de lui, et un peu sombre.

- Vous souhaitez deux lits simples ou un lit double pour la chambre que nous avons réservé ? finit-il par nous demander.

- C'est sans importance,
lâche Rose.

- Oh, je vois, vous préférez peut-être pouvoir vous faire des câlins la nuit !
Nous lance le manager en conservant un regard impassible.

Pardon ?

Je me fige, un peu choquée par la lubricité de la remarque. Mon amie ne relève pas, ou alors ne laisse rien paraître. Pourtant, il me paraît Impossible de ne pas percevoir dans cette remarque déplacée une volonté de nous mettre mal à l'aise ou, au moins, de nous tester. Son jeune confrère esquisse un sourire gêné teinté d'un amusement qu'il tente non sans peine de dissimuler.

- Je m'appelle Ageng,
reprend-il.
- Vous pourrez vous adresser à moi pour tout ce qui concerne votre séjour.

Quel genre de goujat se permet une réflexion comme celle-ci ? Se pensait-il subtil, ou était-ce une manière de nous provoquer pour voir la manière dont nous réagissons à une question équivoque ? Voilà qui donne le ton du séjour...

Les flammes pluriellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant