Chapitre XXXVIII : Le manuscrit

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- Savez-vous d'où vient cette image ?

Le reprographe contemple la page du manuscrit que je lui désigne.

- La plupart des fac similés de cette période et de cette zone géographique reproduisent des scènes tirées de l'histoire, ou de contes et légendes. Cette peinture doit représenter l'un d'entre eux.

Je me demande comment lui poser toutes les questions qui me traversent l'esprit sans passer pour une obsessionnelle qui n'a pas les moyens de ses névroses. Il peut à tout moment me proposer de réserver les Flammes Plurielles pour un potentiel achat, et je serais embarrassée d'avouer que c'est seulement mon insatiable curiosité qui m'a emmenée ici aujourd'hui, et que je n'ai aucune intention ni les moyens d'acheter l'œuvre.

- Est-ce-que vous sauriez de quelle légende il pourrait s'agir ?

Il me regarde en arborant une expression indéchiffrable avant de me répondre.

- Non, pour la simple raison qu'elle est inconnue. Nos reproductions comportent beaucoup de scènes représentant les amants Khosrow et Shirin par exemple, très facilement reconnaissables par les textes accolés à la représentation et par la fameuse scène du portrait.

- La scène du portrait ?

- Oui, la scène où Shirin tombe amoureuse du portrait de Khosrow, poursuit le Monsieur, patient.
- Or, cette représentation d'amants sur un parterre de fleurs est assez inédite et nous n'arrivons pas à la rattacher à un conte, ou à une légende en particulier.

- Cette image rappelle Le Baiser, de Klimt.

- C'est exact, acquiesce-t-il.
C'est le travail à la fleur d'or et les amants sur fond floral, il n'est pas impossible que cette image ait circulé et soit passée devant les yeux de Gustav Klimt, lui servant ainsi d'inspiration.

- Et le livre ? Peut-on le rattacher à un contexte particulier ?

- Oui et non. Une période approximative, oui. Une région, le Proche-Orient, aussi. Mais ce livre a la particularité d'être passé par de nombreux intermédiaires avant d'atterrir dans notre entreprise. Nous l'avons acquis au cours d'une vente aux enchères, et il avait déjà appartenu à plusieurs marchands privés auparavant. Il est le seul que nous avons et dont il est impossible de retracer l'origine ni la totalité du contenu, car certains passages n'ont pas pu être traduits.

- Pourquoi cela ?

- Je ne saurais vous en dire plus. Vous pouvez peut-être demander des informations complémentaires à mon collaborateur, il en sait plus sur cet ouvrage et sur son contexte historique.

Le court silence prolongeant sa phrase me fait comprendre que le moment est arrivé de laissé en paix mon guide et de m'adresser à son collègue. Vais-je vraiment insister à ce point ? Il y a des contextes où des circonstances où il apparaît nécessaire de secouer sa timidités. Surprendre son sosie dans un livre ancien peut se compter au nombre de ces circonstances.

Alors que j'erre un peu plus loin dans le stand, c'est finalement celui-ci qui m'aborde.

- Bonjour Madame, j'ai cru comprendre que vous aviez des questions ? Puis-je vous éclairer ?

Madame. C'est absurde, j'ai passé la majorité depuis de longues années maintenant, et je devrais percevoir ce titre comme la simple marque de politesse qu'il communique, mais rien à faire, je prends 10 ans à chaque fois que l'on m'appelle comme cela. La jeune fille en fleurs que je crois encore être, en recherche d'amour et toujours naïve, est reléguée au banc des absents, transformée en dame en âge d'être mariée, dès lors que j'entends ce terme. C'est à la fois une pure projection de mes propres enjeux individuels, et une expérience partagée par de nombreuses femmes comme moi, qui frémissent à chaque Madame lorsqu'elles commencent à sentir leur jeunesse passer. C'est peut-être aussi un lien que je fait entre le manuscrit et les œuvres de Klimt, qui a représenté les différents âges de la femme dans son art. J'ai rencontré Ageng à 25 ans, à une période de ma vie où je commençais à me demander si j'allais trouver l'amour ou non. Je l'ai pris pour la personne que j'attendais depuis longtemps, et je me retrouve dans les mêmes déboires que dans ma relation avec Hugo : ignorée, peut-être même méprisée, et à chercher des réponses dans l'ésotérisme dans une espèce de fuite en avant de la réalité, comme si des enseignements secrets allaient régler mes problèmes du présent, bien réels. 

Je me sent subitement ridicule, mais il faut bien que je réponde à ce Monsieur qui souhaites me renseigner.

- Bonjour Monsieur. Je me demandais juste de quelle œuvre provenait cette image,
Dis-je en montrant du doigt mon double lovée sur le champs de fleurs.

L'homme se fend d'un large sourire.

- L'être humain m'épatera toujours. Il oublie la plupart du temps son passé immédiat, peine à vivre dans le présent, mais est fasciné par des reliques d'un temps immémorial. Oh, ce n'est pas péjoratif,
il fait un geste de la main à mon intention comme pour balayer tout malentendu devant mon air contrit, je trouve ça formidable.
- C'est pour cela que j'en ai fait mon métier.

Je reste cloche. Tout ce qu'a dit ce Monsieur est vrai et rejoint mes précédentes conclusions. Je n'ai pas su bien profiter de mon temps avec Ageng, en particulier lorsque l'on s'est revus à Istanbul, enfin. Maintenant que la relation est terminée, c'est comme si ma vie était coupée, sauf pour me plonger dans un passé obsédant où je crois reconnaître nos alter egos dans un bouquin poussiéreux. Je reviens néanmoins à mes moutons .

- Pouvez vous m'en dire plus sur cette légende ?

- Bien sur, je vais tout vous dire.


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