Chapitre XXVI : Rose of no man's land

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Ses yeux ébènes plongés dans les miens, comme à l'accoutumée, Ageng laisse sa réponse en suspens.

- Je veux savoir ce qui te donne l'impression que je suis innocente, comme tu dis, dis-je à Ageng en mimant des guillemets autour de cet adjectif.

Ce dernier esquisse un tendre sourire.

- Je t'observe continuellement, et tout est toujours tellement pur dans tes mimiques, dans ta gestuelle. Je veux dire, reprend-il, en réaction à mon air surpris, tu as des défauts, comme tout le monde... Mais c'est comme si... Il réfléchit un instant. Comme si tu ne connaissais pas le mal.

On ne m'a jamais dit quelque chose d'aussi élogieux. Je ne saurais pas dire s'il a su percevoir que j'ai bon cœur, s'il projette des désirs sur moi, ou s'il est dans la pure flatterie.

- Wow, ne dis pas ça, clairement je ne le mérite pas. Tu ne me connais pas. Si tu savais comme parfois je peux être mal lunée, sarcastique ou même agressive...

- Oui j'en doute pas, me répond-il taquin, je t'ai déjà vue en colère, d'ailleurs tu es très attirante quand tu es en colère. Mais c'est encore autre chose. Comment t'expliquer. Je vais te prendre un exemple. Tu serais incapable de torturer quelqu'un par exemple ?

- Oui incapable, je sais pas si je pourrais.

- Voilà. Moi par exemple, ça ne me poserait pas de problème, affirme Ageng d'un ton étrangement détendu.

- Attends, je me corrige immédiatement. C'est faux, je le pourrais. Dans certaines circonstances, si je fais un terrible effort d'imagination et que j'imagine ce qui me mettrait le plus en rage, dans certains contextes particuliers je pense que je le pourrais. Ce n'est pas quelque chose dont je suis fière, évidemment, mais j'imagine que c'est humain.

- Oui, ça, ok, acquiesce-t-il avec un geste. C'est humain je te le confirme. Mais en dehors de ces circonstances particulières, tu pourrais ?

- Non, je ne pense pas.

- Voilà.

- Mais toi, je m'exclame, Comment tu peux dire que ça ne te poserait pas de problème de torturer quelqu'un ? Je ne peux pas y croire. Tu as l'air si sensible, si plein d'humanité... c'est quelque chose que j'ai senti très rapidement en toi.

- La vie t'apprendras que ce n'est pas incompatible, Darling.

C'est en partie pour cela qu'Ageng me plaît autant. Cette impression qu'il sait des choses que je ne sais pas, qu'il connaît mieux la vie que moi, alors même que notre écart d'âge est finalement assez faible, 4 ans nous séparent. Ces mystères qui l'entourent, aussi... Je me demande s'il est nécessaire de percevoir l'autre comme ayant un ascendant sur nous, comme son supérieur, quelque part, pour l'aimer. L'admiration est un très bon vecteur à l'amour, selon moi.- Bon, arrêtons les sujets sombres. Ni toi ni moi ne serons jamais amenés à torturer qui que ce soit.

Il sourit.

- Oui Lulu, nous ne serons jamais amenés à cela.

Un court instant de silence s'immisce entre nous.

Ça peut paraître un peu bizarre, reprend-il, mais tu corresponds à l'idée que je me faisais des anges dans les textes sacrés que j'étudiais quand j'étais plus jeune.

Je parlais d'admiration mais en l'occurrence, j'ai la sensation que l'adoration est mutuelle. Il ne cesse de faire mon éloge. Au-delà de flatter ma prétendue beauté, il me prête une grandeur morale. S'il est vrai que je n'ai pas mauvais fond, je ne suis pas sûre d'être digne de l'image qu'il plaque sur moi.

- Tu as déjà eu de longues relations ? Je le questionne.

Ageng me fixe. Il n'y a rien de crispé, ni dans son visage, ni dans sa gestuelle, mais je devine dans son silence un tant soit peu trop prolongé, que mon interrogation soulève une tension en lui.

Les flammes pluriellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant