Chapitre XVI : La vallée de l'amour

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Comment étais-je a 20 ans ? Cet âge si sacralisé, idéalisé, souvent rétrospectivement et avec nostalgie. J'étais à 20 à peu près comme je le suis maintenant à 25. Profondément sensible, désespérément immature, incorrigiblement romantique. Rose, à 20 ans, se battait, pour son indépendance économique, elle cumulait ses études avec un job étudiant, préparait son futur avec réalisme et ambition.

A cette période de nos vies, durant ces vacances, nous ne savions pas encore que ce serait parmi nos derniers flirts que l'on pensait sans conséquences, que ce serait nos dernières vacances ensemble, aussi.

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C'est dans le décor enchanteur du Parc national de Gorëme que Rose et moi-même avions décidées de poursuivre notre excursion, celle que Ageng nous a aidé à organiser. Il nous avait prévu un " tour " de la Cappadoce avec un guide touristique. C'est l'occasion de voir de plus près les fameuses collines immaculées constitutives de la région.

Je commence à monter sur l'une de ces mini-collines, pour m'offrir un beau point de vue sur tout le Parc, et pour que mon amie immortalise la scène d'une photo.

- A ta place, je ne m'y risquerais pas !
Me met en garde celle-ci, toujours à l'affût pour protéger mes intérêts et ma sécurité. C'est vrai que je ne suis pas l'incarnation de l'agilité ni de l'adresse.

- Tu plaisantes ? Y'a aucun risque, je suis en baskets et t'as vu comme le sommet est plat ?

Rassurée de me voir m'élancer sans chuter en bas des collines, Rose demande à d'autres touristes de prendre une photo et vient me rejoindre sur ma mini-montagne. Plus tard, nous rions comme des dindes lorsque nous nous faisons prendre en photo sur la balançoire en forme de cœur située sur un sentier plat en haut du Parc, qui offre une vue fantastique sur l'ensemble de celui-ci.

Une exploration plus étendue du Parc nous amène à " La Vallée de l'amour ". Ce jardin naturel est truffé de cheminées des fées, ces grandes roches en forme de cônes pourvues d'un chapeau arrondi. Je ne sais pas si c'est moi qui ait l'esprit mal placé mais je vois un symbole phallique en ces grandes pierres au nom si poétique. Mon dieu... Je crois que je commence à vraiment manquer de sommeil. Ou bien, c'est une remarque de bon sens. Après tout, ce n'est sûrement pas pour rien que le Parc s'appelle " La vallée de l'amour. "...

Plus tard, nous nous rendons dans une petite ville de Cappadoce pour y déjeuner. Notre repas nous est servi dans d'adorables petites tentes sur l'eau, remplies de coussins et de tapis. Des canards et des oies en liberté entourent notre cabanon. Je n'ai des cesse de m'émerveiller de cette région, de cette culture que je connais encore si peu.

Nous poursuivons notre après-midi par la visite du château d'Uçhisar, une forteresse construite au sommet d'une colline. La guide nous explique que ce château avait été conçu comme poste d'observation stratégique et de défense pendant des siècles sous l'Empire byzantin, en temps de guerre. Lorsque nous montons au sommet de celui-ci, la vue a 360 degré nous permet d'admirer le paysage cappadocien, qui pourrait être le lieu de tournage d'une série de fantasy.

Plus tard, alors que le soir tombe et que l'air est légèrement plus frais, nous repartons dans le camion du guide touristique pour retournerà nouveau notre hébergement. Le bruit si reconnaissable et familier de notification me tire de mes pensées.

- J'ai une demande de suivi insta : " Osman Davut. " C'est un nom turc ça non ? Qui c'est à ton avis ? Quelqu'un a qui on a parlé ?

- Fait voir ?

Mon amie prend le téléphone de mes mains pour regarder l'affaire de plus près.

- J'ai un ami en commun avec lui, c'est mon gars d'Istanbul. Le fameux " Cengo ". Ça doit être son pote. Ah mais oui, il m'avait proposé qu'on se fasse une sorte de rendez-vous à 4 quand on reviendra à Istanbul.

- Je vois...

J'accepte ledit Osman. Ni une ni deux, il met des réactions à chacune de mes stories et m'envoie des messages. Il me demande comment je trouve la Cappadoce.

- Il a l'air sympa non ?
Me lance Rose.

- Écoute, de la même manière que les chiens ne font pas des chats... Mister Charo doit avoir un pote un peu du même acabit.

- Ce que tu peux être cynique Lucie... Probablement qu'il te trouve mignonne et veut apprendre à te connaître.

Je glousse.

- Mais oui, en toute innocence !

- Bah oui pourquoi pas.
- Non je rigole,
ajoute Rosie en étouffant son rire,
Mais qu'est-ce-que ça change de toute façon si il veut s'amuser ?


- Ben... pas moi. Ça m'a jamais trop réussi de m'amuser seulement.

« S'amuser ». Comme la plupart de femmes de mon époque et de ma culture, j'ai déjà eu des relations en dehors d'un engagement durable, mais je n'ai jamais vraiment su « baiser comme un mec ». C'est une expression triviale pour généraliser un fait répandu, mais je pense qu'elle est assez juste. Beaucoup d'hommes ne mettent pas d'affect particulier dans leur vie sexuelle, lorsqu'elle se déroule en dehors d'un couple, ou d'une relation amoureuse. A l'inverse, j'ai souvent remarqué que les femmes attendent souvent beaucoup plus d'un rapport sexuel. Sans pour autant en attendre forcément un attachement durable et réciproque, c'est un domaine dans lequel elles mettent souvent beaucoup d'ego ou d'amour propre. En réalité, je parle d'une tendance mais c'est moins une histoire de genre que d'individu. Mais il faut toujours une certaine confiance en soi ou un certain détachement, ou les deux, pour faire l'amour sans prise de tête. Je ne fais pas partie de ces femmes.

- Écoute, quand on retournera à Istanbul dans quelques jours on ira juste boire un verre avec eux si t'es d'accord. J'ai pas envie d'être seule avec le Cengo... avec toi ce sera plus drôle. Ça ne t'engage à rien.

- Si il n'y a que cela pour te faire plaisir, j'imagine que je peux bien accepter.

Maintenant, voilà que ce Osman me demande une photo de moi. Allez, c'est le genre de gars qui va me faire un compliment quoi qu'il en soit, même si je lui envoie un selfie au saut du lit après une nuit blanche. De toutes les façons, je vais devoir me le coltiner pour ne pas laisser ma copine seule en date, alors autant sympathiser. Je remonte ma queue-de-cheval haute pour faire ressortir mes yeux et baisse légèrement la tête. Envoyer.

Sa réponse ne se fait pas attendre.

" Ouuuh so sexy. "

En voilà un qui n'a pas de temps à perdre. Après tout, mon tout début de béguin pour Ageng ne me mènera probablement pas bien loin, je ne vais pas glisser de mon crush pour Hugo, vers un autre crush plus nocif encore, dans la mesure où il a lieu pour un étranger qui vit à plus de 2000 kilomètres.

Par la fenêtre du camion, je regarde les paysages de Cappadoce défiler sous mes yeux. C'est cela, ce voyage doit rester léger.

Les flammes pluriellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant