Chapitre XXXV : Le fantôme de la bibliothèque

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Les sourcils du documentaliste se froncent lorsqu'il tâche d'accéder à ma requête. Ses doigts osseux font circuler nerveusement la souris sur le tapis de l'ordinateur afin d'explorer l'immense base de données du site internet de la Bibliothèque. Chercher un manuscrit ancestral dans ses nombreux registres, c'est comme chercher une aiguille dans une motte de foin. Heureusement que la barre de recherche avance existe.

- Vous êtes sûre que c'est bien cela, le titre du livre ?

- Oui, c'est bien cela.

En début d'après-midi, une brève discussion avec Aylan sur whatsapp m'a rappelé à son souvenir. J'aimerais tellement les revoir, lui et sa tante. Sur le chemin de mon premier séjour à Istanbul, ils ont été de si belles rencontres, et, à cause du contexte sanitaire, je n'ai même pas pu les voir la dernière fois. Une blague sardonique de mon pote turc, lancée au sujet de mon signe astrologique, a réveillé mon envie de trouver le manuscrit enluminé dont il m'avait parlé lors de notre première rencontre.

Échanges de messages whatsapp :

" Quoi ? Tu n'as plus de nouvelles de Ageng depuis une semaine ?  Qu'est-ce-qui a bien pu se passer durant votre week-end en amoureux. Laisse-moi deviner, tu as été froide comme un glaçon ? Tu n'as rien laissé transparaître de tes émotions ? Je suis sûr que ce sont ton côté capricornien qui ont eu raison de lui."

" C'est mal me connaître, il sait pertinemment que je l'adore :). "

" Tu m'en diras tant. Peut-être qu'il le sait un peu trop. "

" Au fait, quel est le nom du livre dont tu m'avais parlé, celui qui analyse l'astrologie, que j'aille regarder la compatibilité de nos signes. "

" Ce ne serait pas plus simple d'aller sut internet ? Les algorithmes peuvent calculer les compatibilités de vos thèmes astraux en une poignée de seconde. "

" Je préfère me référer à un savoir ancestral."

" Ok. Il s'appelle " Flammes plurielles. "  "

" C'est un recueil de contes érotiques ?  "

" Non, ça parle d'amour donc évidemment il y a des pages dédiées à l'amour sensuel mais pas essentiellement. "

Fin des échanges de messages whatsapp.

- En réalité, il s'agit d'un manuscrit ancien.

Je précise en m'adressant au Monsieur qui m'offre son aide dans ma recherche.

- Ah !

L'employé de la Bibliothèque nationale lève enfin les yeux vers moi.

- C'est bon ! J'ai trouvé. C'était dans le registre des manuscrits.

- Oui, excusez-moi, j'ai oublié de vous préciser qu'il s'agit d'un manuscrit rare.

De ses doigts osseux, le documentaliste remonte ses lunettes sur son nez. Il arbore un air considérablement circonspect.

- Non, ce n'est pas grave mais... C'est un manuscrit ancien rédigé en calligraphie arabe, vous le lisez ?

Je me frappe le front avec la paume de ma main. Quelle idiote, pourquoi n'ai-je pas pensé à cela ? Un manuscrit rare du temps de l'Empire Ottoman, évidemment qu'il allait être écrit en arabe.

- N'y a-t-il pas une traduction dans vos registres ?

Le Monsieur secoue la tête en guise de réponse.

- Non, malheureusement. Pas ce type de manuscrit, aussi rare. Les traductions sont mandatées la plupart du temps par des entreprises de reproduction d'œuvres d'art. Pour en lire le contenu, il vous faudra vous procurer l'un des rares exemplaires à prix d'or, j'imagine.

Il se tourne vers moi avant de reprendre.

- Il doit y avoir une traduction de l'original disponible dans une bibliothèque spécialisée en manuscrits anciens. Mais je connais bien ce type d'œuvres, il ne vous laisseront pas y accéder sans recommandation d'un chercheur qui vous y habilite.

- Oh mince...
Réponds-je, déçue.

- Bon et bien, merci quand même !

- Bonne journée Madame.

- Au fait, reprend mon bienfaiteur alors que j'ai déjà tourné les talons, il y a une foire des manuscrits anciens ce dimanche. Vous pouvez peut-être vous y rendre. Si ce livre est en la possession d'une entreprise, je doute que vous puissiez vous l'offrir cash. Mais ils vous laisseront peut-être y jeter un œil et feuilleter quelques pages.

Marie m'attend un peu plus loin dans la BNF. Je repars en trottant rejoindre mon amie dans le rayon dédié aux arts du spectacle. Je la trouve en train de tourner les pages d'un livre dédié aux robes de créateur.

- Tu as trouvé ton bonheur ?
Lance-t-elle en me voyant arriver vers elle.

- Non, mais j'ai une idée. Est-ce-que ça te dirait de m'accompagner à la foire des livres anciens dimanche ?

- Qu'est-ce-que tu mijotes encore ? Tu es sûre que tu ne peux pas trouver ton bouquin sans courir les foires de Paris ?

- Non, ça paraît difficile. En tous cas c'est ce que viens de me dire le documentaliste. Je ne peux pas me le procurer sans recommandation dans un cadre universitaire ou autre.

- C'est où, dimanche ? Je vais t'accompagner, de toutes façons je n'ai rien de mieux à faire depuis que les autres enfoirés m'ont fait le coup que tu connais.

Il y a peu de temps, Marie a fait l'objet d'une grande injustice. Assistante de direction, ses employeurs lui ont récemment notifier un licenciement pour faute sans autre motif valable autre que les tensions entre ses patrons et elle-même. Tout cela pour éviter une rupture conventionnelle plus coûteuse pour eux, qu'ils avait pourtant acceptée sans tenir parole par la suite.

- Merci beaucoup. Allons prendre un café à côté. On va voir comment on peut blinder ton dossier en prévision des Prud'hommes.

- C'est adorable Luc', mais c'est pas nécessaire. J'ai déjà une avocate qui m'a été recommandée par Victor, comme il est dans le milieu. Je les ai invités, lui et Diane, pour le remercier de m'avoir épaulé et filé ce contact.

- Alors on parlera de ton Pavel et de comment tu vas pouvoir t'accommoder de son caractère explosif.

- Quelle putain d'ironie, pour moi qui ai toujours eu l'habitude de dompter les caractères à défaut de m'y accommoder.

Elle n'a pas tort. Marie et moi sommes proches depuis 10 ans et je ne l'ai jamais vue aussi passionnément amoureuse. Elle a aimé avant, a vécu plusieurs relations dont l'une a duré plusieurs années. Mais je l'ai toujours vue dans le rôle de celle qui était la moins attachée des deux, et au contrôle de ses émotions.

- Allez, laisse moi t'offrir un café crème, on va passer la situation au crible.

Écouter et tenter de trouver des solutions, lorsqu'il y en a, aux problèmes de mes amies, particulièrement sentimentaux, a toujours été mon fioul. Si le terme " amitié " n'est pas galvaudé, alors on doit s'épauler et se soutenir au maximum et dans la mesure du possible. Mais, au delà de ma profonde affection pour Marie et de mon évident intérêt pour son problème, quelque chose en moi me souffle que je m'y plonge pour éviter de penser au mien. A l'inverse, partir en quête du livre qu'avait évoqué Aylan, est une façon pour moi de trouver des réponses.
En effet, ce manuscrit fut l'un des premiers sujets de conversation entre Aylan et moi et comme une porte ouverte à mon séjour si marquant à Istanbul : tirer un trait sur l'histoire avec Hugo, ouvrir mon cœur à celle avec Ageng. Dans les deux cas, une chose est sûre : j'ai un besoin impératif de m'occuper l'esprit afin de ne pas sombrer dans la terrible vérité que je prétend intuitivement depuis quelques jours : Ageng m'a ghosté.

Les flammes pluriellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant