Chapitre XXIII : Constats et actes

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Songer à Ageng me cause un certain chagrin, je ne le reverrai probablement jamais de ma vie. Mais c'est un chagrin doux.

- Rose m'a dit qu'il était intelligent et qu'il avait l'air à fond sur toi, reprend Diane.

Rose et Diane se connaissent depuis leur plus tendre enfance. Rose, Fleur, Diane, Marie, Nawelle et moi-même sommes amies depuis le lycée. Une armée d'amazones qui ont fait les 400 coups ensemble. Une bande de filles, quoi.

- Oui, c'est vrai. La première impression que j'ai eue de lui était en réalité assez mitigée, il m'apparaissait comme un type blasé et un peu sombre. Puis il y a eu comme une sorte de shift.

- Un shift ? Par pitié pas d'anglicisme, je m'en tape à longueur de temps entre les réunions et  la machine à la café. Développe.

Diane travailles dans un grand groupe international.

- Oui pardon, mais là j'ai pas la précision sémantique...

- C'est bon je l'ai, ne sorte de rupture psychologique, dis-je en repensant à la scène hilarante d'un film génial que j'ai vu récemment. Une dame, du genre intellectuelle et haute bourgeoisie, reprend sa fille sur ce terme anglais qu'elle ne comprend pas.

- Une rupture psychologique ?

Le sourcil droit de Diane se lève, seule marque de scepticisme sur son impassible visage.

 - Oui, le premier jour il était froid envers nous, à la limite de l'arrogance. Puis il s'est mis à se montrer très serviable, affable, en particulier avec moi. On est sortis un soir, on s'est embrassés sur la terrasse de l'hôtel, je le trouve à la fois sensible et très masculin... Quand je dis masculin, c'était pas du tout dans le même genre que Hugo, non, Ageng a un côté plus intellectuel...

- Pourquoi tu parles de ce tocard d'Hugo ? M'interrompt Diane. Je préfère t'entendre parler de n'importe quel mec plutôt que de lui.

Je me contorsionne sur ma chaise et observe mon dessert, un Paris-Brest fort appétissant, entre la gêne contrite et l'hilarité.

- C'est vrai, je devrais arrêter. Pour en revenir à Ageng, sous son air désenchanté, il s'est montré sous un jour plus gai, très courtois et gentleman. En fait, il m'évoque différents traits de personnalités qui n'ont rien à voir les uns avec les autres... Il respire l'intelligence, la maturité, la sensibilité aussi. Et en même temps, il y a autre chose. Comme je te disais, un truc un peu sombre, de l'ordre du secret ou une histoire compliquée...

- Une histoire compliquée ? A quel niveau ? Demande Diane.

- Je ne lui ai pas suffisamment parlé pour le savoir mais il se renferme lorsque l'on aborde certains sujets.

Je me rends compte à quel point le portrait que je dresse est cliché : un garçon charmant, brillant et sympathique, et qui présente aussi une part d'ombre. Je ne rends pas hommage à la particularité de la personnalité d'Ageng.

- Au-delà de ça, il y a un truc qui me touche en lui mais on n'a pas parlé tant que ça, tu imagines bien qu'en anglais en plus, la conversation n'a pas été toujours très fluide. Il m'évoque... Il m'évoque la perte, la désorientation.

- C'est engageant dis-donc, commente mon amie.

- Non, pas dans le mauvais sens du terme, au contraire, il a l'air d'avoir de l'épaisseur... Psychologique, je ne parle pas du reste, bien évidemment je ne suis pas allée vérifier. Je veux dire qu'il semble y avoir quelque chose de blessé en lui.

- Comme nous tous, non ?

- Oui, bien sûr. Mais je crois qu'il m'a entraînée dans son élan avec son entichement. Tsais, parfois quand un mec s'intéresse à nous alors qu'il n'y a pas d'attirance, on a envie de se distancier. Avec lui c'était l'inverse, son intérêt pour moi a éveillé le mien pour lui. Et puis ça s'est terminé sur une note bizarre. Il voulait qu'on passe notre dernier soir avec lui, normal tu vois, on avait sympathisé. Indépendamment du petit crush qu'il avait pour moi, car je crois qu'il aurait été professionnel et serviable quoi qu'il en soit, il nous a arrangées pas mal de fois, il nous a sous-facturé certaines activités, tu vois le contexte. Le tour qu'on a fait en Cappadoce valait apparemment 1000 euros et il nous en a demandé 100. Rien que pour ce genre de geste, on aurait pu passer notre soirée avec lui.

Je soupire, blasée de moi-même, prête à faire une nouvelle confidence à mon amie, venant à l'appui de son avis : je ne fais que de la merde avec les mecs.

- Mais on a passé la soirée avec le date de Rose et son pote débile, je reprends. C'était pas l'idée du siècle. Je te raconterais. Quoi qu'il en soit, on n'a pas passé cette dernière nuit à Istanbul en sa compagnie, alors qu'on aurait pu.

- C'est dommage. Mais bon, en même temps tu as fait ce que tu as senti sur le coup.

- Ouais. Mais je me rends compte que ce que j'intuite est parfois assez... bancal. Tu vois, je regrette.

- Tu peux pas lui envoyer un message ? propose Diane. Ça lui ferait peut-être plaisir de savoir que tu as de tendres pensées envers lui.

- Tu as raison, j'acquiesce. C'est exactement ce que je vais faire.

Je pianote quelques lignes sur mon portable. J'essaie d'être simple et sincère.

" Hello. Je sais que tu crois que tu ne me plais pas, mais c'est faux. Je te trouve intéressant, charismatique, drôle et attirant. Tu me manques déjà. Prends soin de toi, et passes une bonne journée. "

Quelques instants plus tard, je reçois une réponse de Ageng.

" Hello, comment vas-tu ? Quand j'ai lu ton message, je me suis senti très heureux. J'aurais souhaité passer plus de temps avec toi mais tu n'avais pas le temps et c'est ok. Je t'apprécie beaucoup, tu es très belle et douce. Quand tu es partie, j'étais triste. C'était un moment très émouvant pour moi, ça ne m'arrive pas avec tous les clients de l'hôtel. Ton accent français est très mignon, tout comme toi :). "

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